PARTIE 1 : Casey

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Dès l'instant où je vis son regard se poser sur moi, je sus automatiquement que j'étais fichue.
Il était debout, appuyé contre un poteau, l'air très à l'aise, à environ cinq mètres de moi. À son épaule se balançait un sac de sport "Nike" à moitié ouvert et il mâchait bruyamment un chewing-gum, laissant voir ses magnifiques dents blanches sans aucun défaut. Il portait une tenue de sport bleue et noire avec une touche de blanc sur la veste, dans le genre « Je fais croire que je fais du sport, mais je veux juste impressionner les filles pour qu'elles aient envie de sortir avec moi ».
Il était grand, très grand même - il devait mesurer dans les un mètre soixante-quinze peut-être, voire quatre-vingts (alors que moi, je plafonnais tout juste dans les un mètre soixante-dix) -, ses yeux en amande étaient d'un marron très clair, presque noisette, et ses cheveux noirs, bouclés et coupés courts étaient répartis inégalement de chaque côté de son crâne en formant une sorte de crête - qui lui allait à merveille - sur le dessus. Ses pommettes creuses bien dessinées faisaient ressortir l'éclat de ses yeux et le bronzage de sa peau ainsi que la longueur et la finesse de son nez, qui ressemblait beaucoup plus à une lame de couteau qu'à un nez.
Ce mystérieux - et très beau - garçon - dont je connaissais le prénom mais ne voulais pas le prononcer à voix haute, de peur qu'il ne l'entende - était entouré d'une dizaine de filles bruyantes plus âgées que moi, toutes plus jolies les unes que les autres, qui, rien qu'en les regardant, me donnèrent l'impression d'être une cruche mal dans sa peau, et il avait les yeux braqués sur moi.
Il m'observait, scrutait de ses beaux yeux perçants mon visage afin de détecter le moindre signe trahissant mes émotions, mais il n'en fut rien - du moins, physiquement. Quand il s'aperçut que je le regardais également, un léger - et magnifique - sourire s'étira sur ses lèvres. L'atmosphère devint, d'un seul coup, tendue. Je commençai à avoir mal au ventre et eus envie de fuir sans pouvoir m'arrêter, mais je me retins et restai sagement à ma place.
Sans me quitter des yeux un seul instant, il se retourna et adressa quelques mots à une des filles situées à sa droite, une grande brune aux courbes généreuses, et me montra du doigt. La fille tourna immédiatement la tête pour me regarder elle aussi, et j'eus l'impression de recevoir un coup de poing en plein dans l'estomac.
Je ne pouvais rien faire, rien dire, j'étais comme paralysée de l'intérieur. On aurait dit que mon coeur, en sentant ma peur et le danger qui me menaçait, avait, d'un seul coup, cessé d'accomplir sa fonction principale, c'est-à-dire battre, et qu'il ne pourrait plus fonctionner pendant un certain temps.
J'aurais voulu appeler à l'aide toutes mes amies et les avertir de la menace que je courais, mais je ne savais pas où elles étaient en ce moment et j'étais incapable de réagir. Tout mon corps s'était engourdi, mon léger mal de tête que j'avais depuis le matin s'intensifiait et j'avais maintenant très mal au ventre. Du courant électrique parcourait mes doigts tétanisés par la peur.
Mais je savais que si je restais là sans bouger et sans rien faire, tôt ou tard il passerait à l'attaque et j'ignorais ce qu'il compterait me faire si jamais il arrivait à me capturer.
Je décidai donc de prendre mon courage à deux mains - à mes risques et périls - et me levai - j'étais assise sur un banc dans la cour de mon collège. L'air était étrangement vaseux et j'avais l'impression de patauger dans de la mélasse extrêmement gluante. Mon sac à dos m'alourdissait, comme si quelqu'un y avait fourré dix boules de bowling de cinq kilos chacune à l'intérieur. Je sentais des regards rivés sur moi - ceux du garçon et des filles - pendant que je marchais, qui me donnèrent la chair de poule partout sur les bras et des frissons dans le dos, bien qu'il fasse 25°C. On était vendredi après-midi et le soleil tapait fort.
Tout à coup, sans crier gare, je me mis à courir à toute vitesse, écartant sans ménagement tous ceux qui se trouvaient sur mon chemin. Je devais au moins frôler les 100 km/h tellement je courais vite, alors que d'habitude la course n'était pas vraiment mon activité favorite. Je me dirigeai aussitôt vers le bâtiment principal, dans la direction opposée à celle où se trouvaient mon « admirateur » qui « m'admirait » et les filles.
J'entendis une des filles crier « C'est la petite qui court !» et m'engouffrai sans plus attendre dans le couloir sombre du bâtiment, dans lequel je restai pendant à peu près cinq minutes. Mon coeur battait tellement fort que j'ai cru qu'il voulait s'échapper de ma poitrine.
Essoufflée, désemparée, je me laissai glisser contre le mur et tomber par terre, et pleurai toutes les larmes de mon corps. Puis ce fut le noir total.

Embuscade & AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant