i. noctis

407 23 6
                                    





I . N O C T I S

    Une épaisse fumée blanche s'échappait des lèvres pulpeuses et craquelées par le froid, lorsque le souffle chaud s'enroulait dans l'air glacial. Les mains aux doigts courts et rougis par la température rentraient et ressortaient frénétiquement des manches de l'épais manteau. Les dents claquaient entre elles quelques fois, sans que le propriétaire ne puisse y faire grand chose. Une légère pellicule d'humidité s'était formée sur la chevelure noire à cause d'une légère bruine apparaissant sporadiquement. Le corps entier était pris de spasmes incontrôlés lorsqu'une brise s'insinuait sous les vêtements. Le bruit des pas s'orientant seuls accompagnait le doux son du vent dans la cime des arbres sombres que l'on distinguait peu sur le ciel d'encre. La lune était absente ce soir-là.

    Comme Jimin. Ses os et sa chaire étaient présents, longeant les murs, alternant entre route et trottoir, jouant avec le danger ; mais son esprit, lui, était parti. Ses songes étaient avalés si profond dans son être qu'il n'était plus conscient de ce qui l'entourait. Ou peut-être l'était-il trop. Sans qu'il ne l'eut médité, son chemin se perpétua dans un endroit plus sombre, piétinant l'étendue d'herbe de ses pas dont le son était à présent feutré grâce à la verdure. Il ne s'arrêta que lorsqu'il eut, en face de lui, ces éternelles barrières empêchant une quelconque maladresse. D'un geste tremblant, il retira avec lenteur la main de sa protection, pour glisser le bout de son doigt sur la surface gelée de la balustrade le séparant du fleuve. Reprenant sa route, il longea la rivière jusqu'à ce que sa phalange ne trouve le vide. Il bifurqua vers sa gauche, se hissant sur un lourd et imposant pont de pierre, protégé par d'épaisses barres de métal. Arrivé au sommet de l'édifice, il s'orienta vers l'eau profondément noire avant de poser ses coudes sur l'obstacle qui le gardait sur la désuète construction.

    Ses yeux insipides accrochèrent le courant calme sous lui, et il put s'abandonner entièrement à ses abstruses rêveries. Le garçon se retrouvait bien souvent confiné dans ses pensées débordantes du non-sens du monde dans lequel il vivait. Car oui ; Jimin se considérait comme un réaliste. Le jeune homme avait un raisonnement différent. Pour lui, le concept même de la vie n'était qu'une utopie. Il avait de la pitié pour ceux qui enduraient la souffrance pour mourir sans avoir ne serait-ce effleuré leur rêve. Il méprisait ceux qui songeaient à une vie et un monde parfaits. Il jugeait tous ceux qui croyaient en cette chimère qu'était le bonheur.

    Il ne pouvait nier que le bonheur existait ; il était humain, lui aussi ressentait toutes ces belles choses que l'on appelait la joie, la passion, l'amour, l'amitié, l'espoir ; tous ces sentiments enivrants habitaient son cœur à lui aussi. Mais il était conscient qu'il ne s'agissait que de poussières éphémères qui s'effaçaient au moindre coup de vent. Et quand ils s'envolaient, ils laissaient place à la tristesse, la douleur, la haine, la détresse, tout ce qui déchirait le cœur. Et à quoi bon se déchirer le cœur dix, quinze, vingt, quarante, soixante, cent ans, pour finir enseveli sous des mètres de terre et retourner à la nature, plongé dans l'oubli ? Tout ce qu'il respectait, était ceux qui vivaient pour leur enfance, leur insouciance. Mais il continuait de dédaigner la vie elle-même.

    À quoi bon vivre dans un monde dominé par la noirceur des cœurs ? À quoi bon vivre pour faire des études ennuyeuses, trouver un métier par défaut, se lever chaque jour tôt le matin, rentrer tard le soir, s'éreinter, se lamenter, pleurer, se restreindre toute sa vieillesse pour finir à l'état d'os ? Et pour ça, l'éphèbe avait déjà une réponse. Sa propre réponse.

    Ça ne servait à rien.

    Le jeune adulte ne voulait pas donner la vie pour plusieurs raisons. La première était d'une simplicité sans égal : bien que se considérant comme pansexuel, aimant êtres et non sexes, il avait quelques préférences et trouvait plus intense l'union de deux hommes que celui qu'il avait pu avoir avec des femmes. La seconde quand à elle, était pour le moins singulière : en effet, il refusait de concevoir un enfant et l'obliger ainsi à vivre dans cette immondicité. En aucun cas il ne voulait qu'une partie de lui ne se trouve encore dans cet enfer lorsqu'il l'aurait quitté. Il déniait d'être égoïste au point d'infliger cette torture à un pauvre gosse. Personne ne méritait ça.

æternitas || y.minOù les histoires vivent. Découvrez maintenant