v. æternitas

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V . AETERNITAS

    Comme la première fois qu'ils s'étaient rencontrés, la nuit épaisse et noire recouvrait Séoul de son manteau glacial. 365 jours s'étaient écoulés depuis le fameux soir où YoonGi était par hasard tombé sur un beau jeune homme, alors qu'il hésitait sincèrement à sauter la barrière contre laquelle Jimin était accoudé. Et ce cinq décembre, une année plus tard, ils se retrouvaient de nouveau tous les deux, côte à côte, sur ce même pont délabré, les yeux rivés sur le fleuve comme au premier jour. Seule une chose avait changé. 

    Ils souriaient. Sincères et heureux. 

    Durant ces quatre saisons passées ensemble, où leur relation n'avait cessé d'évoluer, ils avaient l'un comme l'autre trouvé le courage qui leur manquait. Pas le courage de vivre et d'affronter toute l'infamie du monde, mais celui de mourir, et de devenir néant. Comme si leur esprit était en totale osmose, ils avaient tous deux senti qu'il était temps, que le moment était arrivé. Ils n'en avaient rien montré. Ils s'étaient juste compris entre eux. Jimin avait souri à ses camarades. Réussi ses examens. Embrassé ses parents de la même manière que chaque autre jour. YoonGi était allé au café. Avait servi les clients avec un fin sourire. Avait demandé des nouvelles à la vieille madame Lee. Ils avaient patiemment attendu la date. 

    Ils avaient également écrit des lettres, à leurs familles, à leurs amis. Puis ils en avaient écrit une ensemble. Une qui ne serait peut-être jamais lue, car elle n'avait pas de destinataire. Une lettre où figuraient toutes les raisons de leur acte. Où ils écrivaient leurs pensées, leurs idées, leurs douleurs. Leur amour. Le bonheur d'être enfin compris et de ne plus être seul face à tout. Ils se sentaient complets. Ils avaient trouvé cette âme-sœur dont on parle dans les romans. Et cette eau qui se déchaînait sous leurs pieds était la plus belle fin que pouvait avoir leur histoire. Pas de «Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants», car on omettait toujours dans cette conclusion «l'un mourut et l'autre se noya de chagrin». Eux, ils mourraient ensemble, heureux et amoureux. Ils se délivraient du calvaire de la vie, qu'ils subissaient depuis respectivement 8666 et 7713 jours, avec le sourire. Pas de larmes, juste des lèvres étirées et des dents montrées de temps à autres lorsqu'ils se lançaient des regards tendres. 

    Ils effleuraient enfin le bonheur qu'ils avaient toujours cherché. 

    Ils avaient les cheveux en désordre, les joues un peu rouges, les lèvres abîmées, la peau ponctuée de marques vermeilles. Ils avaient fait l'amour une dernière fois. Ils s'étaient réciproquement conduit à l'extase, s'étaient chuchoté une infinité de mots doux, s'étaient dégustés, savourés, aimés du plus profonds de leurs êtres. Pas une, pas deux fois, mais suffisamment pour que ces ébats brûlants terminent de leurs prouver une énième fois leur amour pourtant muet. Jimin allait finir sa vie le bas du dos endolori mais le cœur rempli de bonheur. 

    Il leur semblait à tous deux avoir accompli ce qu'ils devaient accomplir. Ils se sentaient apaisés et aucune peur de tordait leur tripes, du moins pas cette peur de ne pas avoir fait tout ce qu'ils avaient à faire. Cette angoisse qui leur serrait le ventre n'était que la peur de l'inconnu qui s'immisçait en eux à mesure que le moment fatidique approchait, mais elle n'était pas suffisante pour prendre le dessus sur l'excitation et le sentiment de bien être. 

    Finalement, ce moment était arrivé. Jimin tenait dans sa main un rouleau d'adhésif large, aussi noir que la nuit, neuf et offrant assez de matière pour devenir une solide attache.     L'autre gardait entre ses doigts un épais feutre de la même couleur, dont l'utilisation était toute étudiée. 

    Alors que la lune baignait le paysage de sa douce clarté, Jimin et YoonGi s'assirent avec précaution sur le bord de l'édifice, à l'emplacement de quelques lettres que l'aîné avait minutieusement tracé du bout de son marqueur. Leurs jambes se collèrent, et Jimin se baissa prudemment, retenu par son amour lui passant un bras autour de la taille. Le rouleau à la main, il tira la bande sur son extrémité pour la dérouler sur une longueur convenable, avant de la coller sur sa propre cheville, les doigts tremblants. Il entoura par la suite celle de l'autre, les liant ensemble, et fit ainsi plusieurs tours encerclant les deux articulations de manière à ce qu'elles n'aient aucune chance de se délier. Toujours sécurisé par son amant, Jimin put alors se redresser, le geste accompagné par une légère grimace dû à la douleur qui frappait son dos. 

    Il réitéra l'action avec une grande attention, cette fois sur leurs poignets sur lesquels figurait les lettres «V.XII.MMXVI». Ils avaient décidé de réaliser le rêve du rouquin, qu'était se faire tatouer la date la plus importante de sa vie. Et cette date était celle qui marquait à la fois son premier amour, mais aussi ce qui provoquera sa mort, qu'il ne voyait autrement que noyé dans le bonheur comme il s'apprêtait à le faire à ce moment même. Ceci fait, Jimin laissa sans regret l'objet tomber dans l'eau, comme pour ouvrir le chemin qu'ils suivraient quelques instants plus tard. 

    _Adieu monde de merde.

    Au même moment, leurs visages se tournèrent l'un vers l'autre. Une immense béatitude se lisait dans le regard de Jimin. Le bonheur et la tendresse apparaissait dans celui de YoonGi. Plusieurs fois, leurs lippes se rencontrèrent. Un amour infini, un puissant sentiment de contentement teintait leurs iris ce soir-là, autrefois pâlies par les idées sombres sans fin. Et ils finiraient de vivre le regard livide s'ils ne s'étaient pas trouvés. 

    Enfin, ils s'éloignèrent. Ils se sourirent. 

    Lièrent leurs petits doigts ensemble. 

    _Park Jimin, je suis éternellement tien.

    _Min YoonGi, je suis éternellement tien. 

    Ils s'adressèrent une dernière œillade, avant de plonger leurs prunelles dans la rivière. 

    _J'ai beau ne pas aimer le monde, t'es devenu mon monde, et putain qu'est-ce que je t'aime. 

    _Je hais ce monde, mais doute pas que je t'aime, Jimin.

    Leurs auriculaires se serrent plus étroitement. 

    Et pesant aussi lourd que le plomb, ils se délogent de leur perchoir, et s'envolent vers la liberté, ne laissant derrière eux que quelques mots qui en frappera plus d'un.

«Morts heureux.»

† Park Jimin & Min YoonGi †

æternitas || y.minOù les histoires vivent. Découvrez maintenant