Le jeune vendeur jeta un coup d'œil au journal qu'il tenait dans sa main : la une venait de changer. Il haussa un sourcil étonné, mais trop rodé par l'habitude pour perdre une seule seconde qui donnerait l'avantage à la concurrence, il s'époumona :
— Le duc de Faramore poignarde son fils et se donne la mort, le scandale qui frappe l'Ordre ! Achetez le journal, la nouvelle vient tout juste d'éclater !
Quelques passants s'arrêtèrent, interloqués, et examinèrent brièvement la une. Une photographie peu flatteuse du duc trônait en page principale juste en dessous du gros titre. Des pièces sautèrent dans les airs, le crieur les récupéra habilement et remercia ses clients d'une courbette. À peine passés dans les mains de leur propriétaire, les journaux se figèrent et la une imprima le papier de façon définitive.
En fin d'après-midi, le garçon regarda l'état de son stock, il ne restait qu'une vingtaine de papiers éparpillés sur son étal. Il n'avait d'ailleurs même pas eu le temps de se pencher sur l'affaire, trop occupé par la foule pressée autour de son petit kiosque.
Il saisit l'un des journaux restants et s'assit sur le trottoir pour commencer sa lecture.
*
Le soleil disparaissait lentement derrière les toits de chaume. Les commerçants finissaient de démonter leurs échoppes mobiles et remballaient mécaniquement leurs invendus de la journée. Les tramways bondés emportaient avec eux les travailleurs pressés de retrouver leur famille pour quelques heures de repos bien mérité. Alors que la rue se vidait de son brouhaha quotidien, de l'autre côté du fleuve, le cirque de l'Échiquier gonflait avec l'arrivée des spectateurs. Cela faisait maintenant six mois que la troupe était revenue s'installer sur les rives de la vieille ville et le chapiteau ne désemplissait pas. De nombreux aéronefs stationnaient aux alentours, servant de résidences aux privilégiés désireux d'assister aux représentations sans avoir à loger dans des auberges sordides ou à traverser les ruelles odorantes du quartier.
Sous le chapiteau principal, le spectacle avait déjà commencé. Une épaisse fumée envahissait la scène et un parfum d'hibiscus se déversait délicatement dans l'atmosphère. Tout avait été arrangé pour créer une ambiance tropicale, jusqu'à la moiteur de l'air. Des palmiers et fleurs colorées parsemaient les murs du chapiteau pendant qu'un Illusionniste, caché dans les coulisses, faisait voler des oiseaux imaginaires. Deux pans de tissu orange pendaient au milieu de la piste et ondulaient dans le vide. Une silhouette, mélange de grâce et d'agilité, tournoyait parmi eux.
À chacun des gestes de l'acrobate, l'Illusionniste changeait les couleurs des parois du chapiteau et illuminait les plantes d'une lueur fluorescente, donnant à la scène une féerie exotique. L'acrobate se tortillait, remontait, s'enroulait, glissait, se rattrapait à la dernière seconde.
Elle s'élança de nouveau sous les frémissements du public. Totalement inconsciente de la tension de la foule autour d'elle, ses pensées étaient à mille lieues de sa prestation alors que son corps continuait sa danse sensuelle, avec un automatisme imperturbable.
Ça fait plus de dix jours qu'il a disparu, pensa-t-elle. Quels problèmes va-t-il encore nous ramener ? Plus le temps passe...
Elle effectua son dernier mouvement, qui, comme un déclic, la rappela à la réalité. Elle entama sa descente, en faisant doucement glisser ses mains et ses chevilles le long des tissus. Sa course terminée, elle salua son public d'une révérence, envoya un baiser vers les balcons où se situaient traditionnellement les hommes et les femmes les plus influents de la ville, puis quitta la scène.
Elle marcha d'un pas rapide jusqu'à sa loge en évitant du mieux possible ses camarades qui préparaient les prochains spectacles. Artistes, accessoiristes, illusionnistes, maquilleurs, costumiers : tous s'agitaient dans une cacophonie étourdissante.
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[Sous contrat] L'écho des rêves - tome 1
Fantasy*** Publié chez les éditions l'Alchimiste ! *** Rayane fait partie des Rêveurs, un clan dont les membres ont le pouvoir d'épier les songes d'autrui. Alors que son statut et son éducation la destinaient à une carrière prestigieuse mais soumise à de n...