Prologue

16 2 0
                                    

- Asia ? Asia ?

Cette voix... J'aurais pu la reconnaître entre mille. Elle semblait sortir des nuages au-dessus de ma tête. Ou bien de la terre qui se trouvait sous mes pieds. J'avais l'impression de l'entendre partout. Elle était tellement faible que c'était presque un murmure. Je regardai autour de moi. Des arbres, des arbres et uniquement des arbres. La lumière qui filtrait à travers le feuillage avait une teinte émeraude. Ce paysage avait un air féerique. Mais derrière cette sensation de conte de fée, je ressentais un malaise. Exactement comme lorsqu'on sent qu'on se trouve à un endroit où nous ne devrions pas être. Le seul vent qui passait était une légère brise qui faisait à peine voler mes cheveux. Il faisait chaud, et pourtant l'air était lourd. Et surtout, j'avais l'étrange impression d'être le seul être vivant de cette forêt. Aucun chant d'oiseau ne résonnait à mes oreilles. Le silence de cette atmosphère mystérieuse commençait à me faire froid dans le dos.

- Asia ? Est-ce que tu m'entends ?
- Oui, je t'entends..., répondis-je d'une voix faible. Où es-tu ?

Le silence revint, plus pesant. Soudain, une forme noire passa juste devant moi en croassant, me faisant sursauter, et alla se poser sur une branche non loin. Un corbeau. Baissant la tête vers le sol, couvert d'un mélange de feuilles mortes et de mousse, je vis des tâches. Cela ne m'aurait pas inquiétée outre mesure si ces tâches n'avaient pas été écarlates. Elles m'entouraient et continuaient jusque derrière moi, comme si quelqu'un s'était promené autour de moi en perdant du sang ; beaucoup de sang. Soudain, un murmure devant moi me fit relever brusquement la tête. J'étais face à elle. Mais elle n'était plus celle que j'avais connue. Portant toujours les vêtements dans lesquels je l'avais vue pour la dernière fois, elle était couverte de boue ainsi que du même liquide écarlate que sur le sol. Sans aucun doute, il s'agissait de sang. Sa robe n'était plus que guenilles et laissait apparaître sa peau blanche couverte de marques rouges et de coupures, dont certaines avaient l'air sérieuses. Ses cheveux châtains lui tombaient jusqu'au milieu du dos, sales et emmêlés, sa peau était encore plus pâle que d'habitude et ses grands yeux bleus océan semblaient vides. Comme si son corps n'était maintenant plus qu'une enveloppe sans rien à l'intérieur. J'avais l'impression d'observer mon propre reflet fantomatique.

- Marah... murmurai-je, effrayée par l'état dans lequel elle se trouvait. Qui t'a fait ça ?

Marah eut un sourire triste, celui qu'elle faisait quand elle essayait de nous faire croire qu'elle était heureuse mais que quelque chose la perturbait, et fit un petit haussement d'épaule.

- Oh ! Ce n'est rien, ne t'inquiète pas...

Je ne l'avais jamais entendue parler comme ça, comme si le monde s'écroulait sur ses épaules mais que ce n'était pas grave. Elle parlait d'une voix détachée.

- Marah ! m'exclamai-je, choquée. Ce n'est pas rien ! Regarde-toi ! Qui t'a fait ça ?

Je vis le peu d'assurance qu'elle avait essayé de mettre dans ses phrases éclater d'un coup. Sa voix se brisa et elle se mit à pleurer.

- Je ne sais pas ! Je ne sais même pas où on est maintenant ! Je ne sais pas où je suis censée être d'habitude ! Tu es la seule chose dont je me souvienne ici... Je t'en supplie, aide-moi !

Elle leva sa main droite et la tendit vers moi. Pendant une seconde, j'hésitai à étendre la main à mon tour. J'avais peur de ce que je pouvais toucher ou plutôt peur de ne rien sentir à son contact.

- Aide-moi ! répéta-t-elle d'une voix suppliante.

Je vis encore une larme rouler sur sa joue. Je lui tendis la main. Quelles qu'en soit les conséquences, c'était ma sœur. Je ne pouvais tout simplement pas rester plantée là sans rien tenter. Elle était trop loin. J'essayai de l'atteindre, mais mes tentatives restaient vaines. C'est à ce moment que je me rendis compte qu'elle s'éloignait.

- Asia ! Prends ma main ! cria-t-elle.

- Je ne peux pas ! Marah ! Reste avec moi ! l'implorai-je tout en sachant qu'elle se battait autant que moi contre la force qui nous séparait.

Marah continuait de s'éloigner. A mon tour, je sentis des larmes rouler sur mes joues. Un fort sentiment d'impuissance mêlé à celui d'abandon forcé m'envahit. J'essayai toujours d'avancer vers elle, sans résultats. J'avais l'impression qu'elle devenait plus pâle. Le bras tendu, je courais après un fantôme. Elle s'effaçait peu à peu.

- Marah, non ! hurlai-je, totalement désespérée. Ne m'abandonne pas !

Mais ma sœur ne pouvaitvisiblement rien faire. Elle tenta d'attraper ma main, d'avancer, de seraccrocher à moi par n'importe quel moyen, mêlant ses cris aux miens. Lecorbeau que j'avais vu se poser près de moi commença à tourner autour de Marah.Si elle ne pouvait pas me toucher, le corbeau en revanche le pouvait. Je n'euspas d'autre choix que de reculer quand il tenta de m'attaquer à coup de bec etde griffes, me protégeant le visage avec mon bras droit.Lorsque je voulu faire un pas en avant, je me rendis compte que j'étaisbloquée. Chaque pas que j'avais fait en arrière m'empêchait maintenant d'alleren avant. Une fois sûr que j'étais hors de portée, l'oiseau de malheurrecommença à tournoyer autour de Marah qui tomba à genoux, se tenant la tête àdeux mains en hurlant. Puis un éclair blanc les avala tous les deux,m'aveuglant.

La Dernière Enchanteresse: L'Héritage d'AilénWhere stories live. Discover now