Chapitre II: Petites Mesquineries

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                           Pendant 3 heures entières, j’ai tenté, avec un succès plutôt mitigé, de faire semblant de ne pas le voir, sauf lorsque nous étions forcés de travailler ensemble. En fait, si j’ai quelque peu réussi uniquement parce que j’étais occupée à soutenir le regard tempête de Serena, qui me regardait avec toute la haine du monde. Je lui souris au souvenir du magnifique soufflet verbal qu’elle avait reçu de la part de Rio. Il m’avait qualifiée de charmante, et elle, de pimbêche. Satisfaction de gamine, certes, mais j’avais oublié comme c’était bon de se faire un nouvel ami. Les garçons me snobaient plutôt à LIRE IV, très peu souhaitaient être vus en compagnie de la « petite dernière des Brightendale ». Je me rappelais encore de la voix sifflante de la secrétaire préposée à l’accueil, en première année de lycée, lorsque j’étais venue récupérer mon emploi du temps.

« - Alors c’est toi, la petite dernière des Brightendale ? Paraît que tu es déjà un sacré numéro. Un petit conseil, tiens-toi à carreaux, parce que tu aurais dû être un garçon ! »

Cette phrase, perfide, m’avait suivie jusqu’à maintenant. Je ne respirais pas la féminité même si je ne la cachais pas en mettant des pantalons informes et des t-shirts trois fois trop grands. Je suis plutôt fluette, nerveuse, ayant fait de la gymnastique depuis mon plus jeune âge, ainsi que de la danse classique et du piano. Mes parents avaient repéré très tôt les différents talents de leurs enfants, au lieu de nous imposer à tous un même programme. Ainsi je partageais la danse classique avec ma sœur Seleen, mon aînée, de tout juste un an et trois mois. Melisandra et Ombeleen, les jumelles, les aînées de la famille, partageaient encore mon cours de piano et de gymnastique, et Cherylene, n’étant douée pour aucune de ces disciplines, pratiquait le dessin, le chant, et jouait du violon. Melisandra est née deux minutes avant Ombeleen. Deux ans plus tard est née Cherylene, puis l’année d’après, Seleen, puis moi, un an et trois mois plus tard.  Je n’aime pas Melissandre et Ombeline qui nous cassent à toutes les trois les pieds avec leur soi-disant supériorité. Et elles sont encore plus insupportables avec leur intronisation!!! L’intronisation est la cérémonie publique se déroulant au jour des vingt ans des jeunes filles nobles célibataire. La noblesse s’étend de la première à la troisième caste. L’année d’après la majorité, les jeunes filles deviennent officiellement des majeures. Et c’est aussi ce jour-là que les filles peuvent recevoir leurs premières demandes en mariage… On peut donc comprendre l’impatience de mes sœurs qui passent leur temps à parler de garçons depuis qu’elles ont reçu leur premier soutien-gorge. Du grand n’importe quoi ! Je fus tirée de mes pensées lorsque je me rendis compte que  la sonnerie retentissait depuis déjà deux secondes. Je levai la tête et vis que Rio se tenait à côté de moi et qu’il me regardait intensément.

« - Tu as dit quelque chose ? Demandai-je.

-        Oui. Je t’ai demandé si tu comptais me faire l’honneur de déjeuner avec moi, ou si tu préférais continuer de m’ignorer avec toute l’application dont tu es capable ?

-        Eh bien…bredouillai-je, c’est-à-dire que… Enfin je déjeune habituellement avec mes amis…

-        Je t’emprunte aujourd’hui ! Tu diras que tu es d’astreinte à me faire visiter l’établissement et à m’en expliquer les us, ce qui n’est pas entièrement un mensonge, car je compte bien avoir ton point de vue sur le meilleur lycée de l’empire. Allez, viens !

-        Euh… Ok d’accord. »

Nous nous levâmes, j’éteignis ma table, puis nous nous dirigeâmes vers le bâtiment qui abritait le réfectoire. Nous prîmes nos plateaux, je pris une salade, avec une pomme et un jus de fruits, car je n’avais pas très faim. Lorsque nous passions, Serena se retourna et fis un signe à Rio qui l’ignora et se rapprocha de moi. Nous nous assîmes à une table loin, très loin de la sienne, la table des Sportifs et des cheerleaders. Je la vis se démonter le cou pour voir où nous nous assiérions, puis se retourner pour parler à ses lieutenants et la tablée éclater d’un rire niais et malsain. Je haussai les épaules et entamai ma salade, stoïque. Rio me regardait, silencieux.

Coeur de VerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant