Lee Sa Rang

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<19:00 -Danger, Tasha The Amazon>

Sa Rang a toujours été privilégiée.

Sa classe sociale est avantageuse.

Son apparence physique est avantageuse.
Ses résultats scolaires sont avantageux.
Même son prénom est avantageux, elle s'appelle 'amour', elle inspire la douceur et la bonté.

Aujourd'hui, nous sommes jeudi. Et jeudi, les cours particuliers que suit Sa Rang depuis plus de dix ans sont avec le professeur Choi, près de chez sa tante.
Avec le professeur Choi, Sa Rang termine les cours entre une heure du matin et une heure trente.

C'est exténuant, je vous l'accorde, mais c'est supportable car Sa Rang a ses cours avec MinSoo qui reste malgré ses sautes d'humeur, une bonne épaule sur qui s'appuyer quand on en a gros sur le coeur. Alors Sa Rang gratte toute la nuit. Et de toute manière, comme dit sa mère: l'habitude apaise la fatigue.

Min Soo et Sa Rang sont amies depuis 3 ans: elles rient ensemble, partagent des gâteaux de riz en guise de déjeuner, s'entraident, se soutiennent et surtout étudient beaucoup ensemble.

Péniblement depuis ces années, Sa Rang supporte, car tous les autres supportent, et si personne ne supporterait, personne n'avancerait, alors pour ne pas être détrônée, Sa Rang doit supporter, d'arrache-pied.

Ainsi, Sa Rang plonge son regard dans les manuels remplis d'exercices, classe les exercices selon leur facilité, les fait, gomme, casse sa mine de crayon, le taille, corrige, refait deux fois  les travaux faux, commence des nouvelles fiches de révisions.

Et ça tous les soirs.

Mais tout cela à un mérite, ne vous méprenez pas. Sa Rang aime tout particulièrement voir les sourires satisfaits de son père, les yeux étincelants de sa mère et les murmures admiratifs de sa petite soeur.

Alors Sa Rang supporte. A-t-elle le choix?

-Cette année, vous devez réussir l'examen d'admission à l'université. Ne négligez pas cette étape primordiale de votre vie. Ne ratez pas votre occasion. Ne réduisez pas à néant tout notre travail depuis ces trois années. Soyez responsables. Ne soyez pas des incapables. Ne passez surtout pas pour ses minables car si vous passez pour des minables ce n'est pas juste sur vous que vous encrez le déshoneur...Vous crachez sur ma fierté, mes efforts, mais surtout ceux de vos parents, leur argent, leur travail, votre vie de famille. Si vous vous demandez si tout redeviendra conme avant? Ne soyez pas naïf. Absolument rien ne sera comme avant.

Alors Min Soo et Sa Rang se sont regardées. Le stress et l'anxiété se lisaient sur leur visage. Et prétextant une légère soif, Sa Rang avale un anxiolytique discrètement.

***

En secouant leurs deux mains, les deux adolescentes creusent leur chemin séparément. Sa Rang enfonce ses écouteurs dans ses oreilles, et parcourt la rue principale jusqu'au métro les yeux clos, cela fait bien une dizaine d'années qu'elle répète ses pas: un peu à droite pour évite le poteau, légèrement à gauche pour longer la rue du supermarché, tout droit et rapidement pour contourner le carton où est assoupie le vieux sans-abris et ses bouteilles vides d'alcool de riz. Pour traverser, elles attendait les bruits saccadés du feux piéton. 

Arrivé dans les sous-sol de la ville, il fallait bien qu'elle rouvre les yeux. La musique qu'elle écoute passivement depuis deux bonnes minutes s'arrête, une autre s'actionne automatiquement. Le bruit d'une notification la fait légèrement sursauter. Sa Rang était en train de s'assoupir.

Elle étire son cou, en tirant vers son épaule droite, puis son épaule gauche et lâche un dernier soupir. En suivant la foule, Sa Rang s'enfonce encore plus sous terre et par chance, elle arrive pile au moment où le métro arrive.

Les vitres de sécurité s'ouvrent rapidement, la masse sort, la masse renaît et va s'enfermer dans les wagons blancs. Sa Rang s'accroche fermement aux rondes en acier accaccrochées au plafond. Les murs du wagon suent, les portes vomissent une rage odeur d'alcool. Là, un homme en costard titube, rit, s'accroche à la taille d'une quarantenaire qui recule machinalement. Il s'excuse mollement, en ricanant, et finit au sol, près des sièges pour femmes enceintes.

Les regards des passagers ne quittent par leur smartphone, leurs oreilles toujours bouchées par des casques, des écouteurs. Les passagers, y compris Sa Rang, elle joue à ce jeu sur son smartphone: celui où on tape des touches noires sur son écran afin de former une mélodie célèbre. Sa passion ne décollera jamais de sa peau.

Sa peau pâle, hydratée au maximum, aux pores clos, sa peau enveloppée par des couches de cosmétiques. La même peau que de milliers de coréennes. 

Les jambes alourdies de Sa Rang manquent de la faire rejoindre l'homme alcoolisé qui divaguait depuis un bon quart d'heure.

Sa Rang allait passer la prochaine demi-heure, accrochée à ce bout de métal, à faire danser ses hanches en même temps que le wagon, les yeux plissés sur son écran.

SeongKong (성공) ou l'odyssée de la réussiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant