Chapitre 2 - Le septième banc

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J'avais bel et bien signé la renonciation de ma vie antérieure dans le vain espoir de ma survie. Les premiers jours semblaient marteler mon infortune en me rappelant le sacrifice de ma liberté assassinée au même titre que mes proches. Pourtant, il s'agissait du seul moyen pour conserver ma vie à l'écart des perfides griffes d'un destin plus sombre encore. La claustration était désormais mon salut. Et j'ignorais si un jour le dehors me serait de nouveau à portée.

L'abbesse Jana m'inculqua des jours durant les écrits divins qui me concernaient. Cette fameuse prophétie, énoncée par le devin de Naralir, l'un des plus grands magiciens de ce siècle, l'un des rares épargné par l'inquisition. Mais personne n'aurait pu prédire que ses dires se seraient réalisés si tôt après sa mort. Mère Jana s'efforçait à me faire comprendre des choses totalement hors de ma portée. En peu de temps, mon profil de gamine des champs se transforma en celui d'une savante apprentie dont le rang s'apparentait à quelque gens de la petite noblesse.

Adieu vêtements déchirés et chiffonnés, recouverts de terre, à présent, des robes par dizaines occupaient mes armoires, toutes plus belles les unes que les autres. Au feu les anciens brodequins troués, troqués pour des poulaines délicates, créées à ma mesure. Ma vie à Faritè avait été balayée.

La journée, au lieu de passer mes heures à semer les graines dans des plaines sans fin de terre retournée, je m'asseyais dans l'un des sièges confortables de la bibliothèque du monastère, agrémentant ce temps à m'essayer à la lecture, domaine dans lequel je venais de débuter. Mais cette vie me plaisait-elle tant ? La réponse me paraissait évidente : j'aurais tout donné pour retrouver la présence de mon frère et de ma mère. Sans compter les sœurs qui régulièrement venaient prendre de mes nouvelles ou s'occupaient de moi comme une princesse gâtée, je demeurais solitaire. L'accès au village se révélait interdit et les seuls enfants de mon âge que je croisais décampaient, soulagés après la fin de chaque messe, offices auxquels j'assistais dans un coin.

Je ne disposais d'aucun moyen pour lier des relations. Les rares se trouvaient dans les accoutumances polies que me réservait le prêtre Sarïn. Veillant sur moi, le religieux semblait avoir enterré l'animosité dont il avait fait égard lors de notre première rencontre. Il ne cessait de me répéter à quel point le danger régnait en maître dehors. La guerre ravageait encore les villages et les gens de ce monde me réserveraient toutes les peines justifiables. En tant que Déesse, je devais m'en préserver et ne jamais tenter le mal. Sarïn cherchait à me protéger, mais à quel prix ?

La seule consolation dont je pouvais me réjouir fut que l'on décida de garder ma présence secrète au sein du village pour un certain temps. J'imaginais les nombreux débats causés par mon existence ou alors les personnes défilant sans fin dans l'espoir fou de me rencontrer, car selon leur pensée, j'incarnerais la fille de Dorina envoyée sur terre pour sauver les peuples du chaos.

Ma foi, quoiqu'ébranlée, me donnait espoir, et je m'y réfugiais, comme un sanctuaire de survie. J'étais prête à croire en ces divagations puisqu'elles m'avaient permises d'être épargnée par les horreurs de ces massacres. Peut-être étais-je véritablement une Déesse ; à mes yeux, j'étais celle qui avait accompli le miracle de s'en sortir presque indemne.

Les semaines passaient, semblables les unes aux autres. Seul différait le temps du dehors lorsque j'observais l'extérieur par ma fenêtre.

Pourtant, un jour, les prévisions tournèrent. Cela commença tout bonnement par une nonne que je croisai dans le réfectoire. Après une courte discussion où j'étalai mes problèmes, elle me proposa de me rendre à l'église pour prier les Dieux d'exaucer mes rares souhaits. Par habitude, je le faisais chaque soir dans mon lit avant de m'endormir, mais jamais il ne m'était venu à l'esprit de faire ça dans la chapelle. Après tout, je n'avais rien à perdre, même si je doutais que les Dieux, bien que tout puissants, réussissent à accomplir mes désirs utopiques.

Les Chroniques des Fleurs d'Opale [EDITE ; sortie le 26 mai] [1ers chapitres]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant