Encore une journée de boulot, exténuante. Entre le bureau, les différents chantiers, le travail de gendarme pour vérifier que mes ouvriers sont bien à l'oeuvre et le retour dans mon petit appartement, je n'ai pas le temps de m'ennuyer. J'aimerais bien pourtant, mais je ne sais même pas ce que ça veut dire, "s'ennuyer" ...
Un plat préparé au micro-ondes, une clope par la fenêtre le temps que la sonnerie de ce dernier retentisse pour m'avertir que je peux enfin manger quelque chose de chaud, moment que je ne m'étais pas accordé depuis la veille au soir. Ça a un goût de plastique ... Tant pis, je n'ai pas le temps de faire autre chose de toutes façons. Le programme télé ne m'inspire pas. Ces crétins écervelés de télé-réalité, ces pseudos experts qui cherchent des indices à l'aide d'une lampe torche, ces téléfilms à l'eau de rose, où tout est bien qui finit bien ... Très peu pour moi !
Je décide alors de rejoindre mon lit, bien trop grand moi tout seul. Cela fait bientôt deux ans que je n'ai pas eu de relation stable. Enfin, stable ... Je n'ai connu aucune relation durant plus de six mois ! Pas le temps, trop de travail, pas envie. "Tu trouves pas que j'ai grossi ?", "t'as même pas remarqué que j'étais allée chez le coiffeur !", ou l'éternel "quand est-ce que tu me fais un enfant ?" ne me donne aucunement envie de me caser. Non pas que je ne crois pas à l'amour. Non, j'y crois. C'est juste que je n'ai pas trouvé la bonne personne, c'est tout.
Je suis donc sur le point de rejoindre ma chambre quand l'écran des vidéos surveillance de mon plus gros chantier me tire l'œil. C'est un entrepôt, avec de grandes baies vitrées à l'avant. Normalement, il est bien sécurisé, et personne ne peut y entrer. Enfin ça, c'est en théorie, quand les gars que je paye une blinde ferment bien TOUTES les portes ! Quels abrutis !
J'observe l'image, les sourcils froncés et prêt à bondir sur les clés de ma voiture pour vite faire déguerpir les intrus. Une femme, l'air plutôt jeune observe la pièce. Un petit garçon la rejoint très vite. Que font-ils ici à une heure pareille ? Il est 23 heures passées, et même si c'est vendredi soir, je ne pense pas que ce soit une heure appropriée pour un gamin de son âge, il devait avoir quoi ... 5 ou 6 ans. La femme commence alors à installer une couverture par terre, puis deux, et enfin des sacs de couchage. Je ne sais pas ce qui me choque le plus, si c'est qu'elle ose s'installer sur ce qui est censé être un "lieu privé", ou si c'est qu'elle n'a nulle part d'autre à aller ... Je décide de les laisser, juste pour une nuit, au moins, ils sont à l'abri, en ce mois de novembre, ce n'est pas de trop ... J'en viens presque à regretter que le chauffagiste n'ait pas encore pu passer. Je les regarde alors se coucher et s'endormir apparemment sereins, l'un contre l'autre, avant de moi-même aller rejoindre les bras de Morphée.
Pas de réveil aujourd'hui, que c'est bon ! Il n'est pourtant que 8h42, mais la tête encore embrumée, je me rappelle des deux petits inconnus squatteurs dans mon entrepôt. Je me lève alors difficilement, m'assois au bord du lit tout en frottant la touffe de cheveux qui trône sur ma tête. Je baille aux corneilles et trouve quand même le courage de me mettre sur mes deux jambes. Le temps que ma Tassimo verse son délicieux nectar dans ma tasse "Paris", je file vérifier mon écran de contrôle. Plus personne. Mais les sacs de couchage sont toujours là ... Nerveux, je me mets à mordiller mes ongles pourtant bien manucurés, pendant que de l'autre main je cherche mon paquet de cigarettes. J'espère qu'il ne leur est rien arrivé, je suis responsable, et en plus j'étais au courant qu'ils étaient là ! Ça m'apprendra tiens ... J'allume ma cigarette matinale, tout en retournant dans la cuisine chercher mon café qui embaumait déjà la pièce de sa délicate odeur.
Revenant m'asseoir sur le canapé, quelque chose avait bougé. Cette couverture là, la rouge, n'était pas à cet endroit quelques minutes plus tôt. Puis je vis revenir mes deux petits protagonistes. Le soleil donnant sur les baies vitrées semblaient avoir réchauffer l'entrepôt puisqu'ils avaient abandonnés les gros blousons qu'ils portaient la veille.
Le jeune garçon et sa maman ont l'air bien installés, mais ils ne peuvent pas rester là. Si un ouvrier tombe dessus, c'est les flics qu'il risque d'appeler. Et ce n'est pas ce que je veux. Je n'ai pas non plus envie de les mettre à la porte, mais je ne peux pas faire autrement. L'endroit est en plus en plein travaux, ça serait inconscient de les laisser là, au milieu d'échafaudage, de matériels en tous genres et d'outils plus dangereux les uns des autres.
Je décide alors d'aller prendre une douche, de me préparer et d'aller rejoindre le lieu de mon chantier principal. En me regardant dans le miroir, je me suis presque fait peur. J'ai des cernes de cent pieds de long, une espèce de micro barbe due au fait que je ne me suis pas rasé depuis hier matin, ma main accroche au passage sur celle-ci. J'ai les joues creusées, mais mes yeux verts foncés un peu marrons embellissent un peu la chose. Je suis pas un canon, mais je suis pas moche non plus. Madame nature a fait son boulot, ni plus ni moins. J'ai deux bras, deux jambes, une tête qui me permet de faire le métier que je rêve depuis gosse, que demander de plus ? Moi, ça me convient parfaitement. Je m'habille en vitesse, attrape mes clés de voiture dans le fameux pot "fourre-tout" posé dans l'entrée (vous savez, là où il y a des trombones, des clous, des clés dont on ne sait même pas ce qu'elles ouvrent ... !), puis pars à la rencontre de mes squatteurs qui attisent ma curiosité depuis hier soir.
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Laisse moi t'offrir une vie
RomanceFabien, architecte et chef d'entreprise va un jour trouver sur son principal chantier une femme et son petit garçon, alors sans domicile. Compatissant, il décide alors de les accueillir chez lui, "juste pour une nuit". Mais il est loin de se douter...