Cambrousse Punk - Mickaël Feugray

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Bon, la clef laisse à désirer, mais c'est tout de même une clef, et je n'en ai pas eu des masses dans les pognes. Quand j'ai récupéré le rossignol de la main du notaire, j'ai juste explosé de rire, vous savez, de ces vieilles clefs de grange, tout en longueur, à la teinte brune, oxydées comme pas permis, qui pèsent une tonne dans la poche, qui vous encombrent, qu'on refourgue dès qu'on peut, qu'on tord, qu'on écaille, qu'on desquame de leurs faux airs de cuivre, et pourtant, on ne sait comment, qui ouvrent toujours le loquet ! Ce genre de clef qu'on fantasme davantage sur une ceinture de chasteté que pour notre petite maison de campagne, et bah moi, troufion de première classe, altermondialiste par dépit, cocaïnomane par dépôt, je m'en coltine une depuis une semaine. Une bonne grosse clef à sa maman. Et si j'étais pas en rade d'un toit, je dirais que ça fait ièche. Sauf sous acide. L'acide, ça dissout toutes vos contrariétés, alors une couille de ce type, ça se désagrège facile. Même si.

C'est long, une semaine, avec un poids pareil dans le veston. C'est que dans mon milieu, ça interpelle, ça provoque, ça attise les regards une grosseur sous-cutanée. Quand on a que dalle, le moindre rien, ça se voit tout de suite. Je l'ai bien glissée dans mon froc le premier jour, « Prenez-en soin... » qu'avait précisé l'homme de droit d'une voix de macchabée, comme si ma vie en dépendait, mais elle a vite atterri dans mon cuir, au plus près de la pile, « ... tel était le souhait de votre défunte tante ». Ah. Ma tante. La sœur de mon père. Même pas capable de lui survivre plus d'un an. Un toc de famille — la mort — chez nous. On préfère imiter les cadavres que les vivants, on sait tellement peu exister. Tantine chérie. Tata. Thérèse. Ou Geneviève. Je n'ai jamais su. Quelle importance, une conne, on ne se côtoyait pas. J'ai dû la croiser une fois enfant, et encore, j'étais en retard pour l'école. Pour moi, la famille se cantonne à ma sœur Florentine, le reste, basta ! C'est bien la seule fois que l'école me servait d'excuse pour fuir d'ailleurs. La routine, gamins, c'était plutôt la buissonnière avec la frangine sous le bras. Ça m'est resté, le goût de la route, du bitume et de la liberté. La cadette un peu moins. Le macadam si, mais plus le goût à rien.

Physiquement, c'est pas tant que ça importune— une carouble sous la cuirasse — mais quand vous n'avez que ça sur l'os — un vieux cuir dégoté sur un vagabond en fin de route — avec l'engourdissement naissant des mois de gel, comprenez qu'on aime bien que la pelure nous soit collée aux miches, en seconde peau, le coupe-vent qui sauvegarde un peu du baiser de l'hiver. Si bien que je suis resté avec une excroissance sur la poitrine, en pleine rue, à me geler les côtes, curieux de savoir ce que Tatie Janine ou Edith me réservait. Une semaine à fantasmer une maisonnette, un corps de ferme, une masure, un manoir — qui sait ? — une retraite paisible, puis l'autodafé des photos de Tata, le bûcher de sa vie insane, la revente de ses bibelots que j'imagine nombreux, pouraves et kitsch, mais pourquoi pas en cadeau la découverte d'une cave à vin, un vrai sous-sol d'œnologue, histoire d'arroser la vioque comme il se doit ? Une semaine à gober des timbres pour faire passer la pilule.

Une semaine aussi à monter des mythos aux autres mecs, Tony surtout — des punks ou des macs pour la plupart —, affabulation et hypocrisie en exutoire, comme quoi j'prenais la clef des champs, que j'avais besoin de marcher, voir le monde et l'enfanter à l'encre. Oui, je crois de nouveau en ma plume, le punk est mort mais je remue encore. Ma période Beatnik, et alors Tony ? Parce que ça a trente, cinquante piges, on n'a pas le droit d'y revenir, faut balayer ? Ça te gène la figure d'écrivain-voyageur ? J'prends pas la pose, tu sais, j'suis juste de cette eau, mec. C'est comme tes tatouages, gros balourd, c'est en moi, indélébile. Hein ? La bosse ? Ce que je cache ? Putain, t'es de la Gestapo, Tonio ? Du KGB ? Chelou pour un rital. C'est un stylo. Un fichu stylo-plume. J'te le montre pas, ça fait bobo, ça risque de te choquer. J'voudrais pas que tu clamses avant de m'avoir filé le colis. Un Mont-Blanc si tu veux tout savoir. Le début d'une croyance. La fin de mon nihilisme.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 12, 2017 ⏰

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