Chapter 2: to give these kids everything

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Onze jours. Cela faisait onze jours que Fiona n'avait pas eu de nouvelles des autres, ni même de ses parents. Onze jours qu'elle avait passés seule, à s'inquiéter, sans savoir comment ils allaient et où ils étaient.
Onze jours sans les voir.
Mais il n'y aurait pas de douzième. L'assistante sociale avait fini par céder à ses demandes incessantes et avait organisé une rencontre pour que les enfants Gallagher puissent se retrouver. Enfin. Même si ça ne durerait qu'une heure, elle allait pouvoir les voir et s'assurer qu'ils allaient bien.

Les retrouvailles devaient avoir lieu dans les locaux des services sociaux. La famille d'accueil de Fiona avaient refusé de recevoir ses frères et soeur, même pour une heure ou deux, prétextant qu'ils étaient trop nombreux, et visiblement les familles qui accueillaient les quatre plus jeunes avaient utilisé le même argument.
Ce fut donc en compagnie de leur assistante sociale que Fiona marchait dans les couloirs du bâtiment, impatiente de retrouver ses cadets. La dame qui l'accompagnait finit par s'arrêter et ouvrit une porte, lui faisant signe d'entrer.
— Fiona !
L'adolescente eut à peine le temps de faire un pas dans la pièce que ses deux jeunes frères se précipitèrent dans ses bras, ravis de la revoir. Pouvant à peine distinguer les boucles de Lip des cheveux flamboyants de Ian dans ce câlin aussi chaotique que plein d'amour, elle les serra du mieux qu'elle pu contre elle, partageant leur joie et leur soulagement d'enfin être réunis.
— Vous m'avez manqués les garçons, leur murmura-t-elle, évacuant par la même occasion l'angoisse accumulée au fil des onze derniers jours à l'idée de ne peut-être jamais les revoir. Vous allez bien ?
Elle mit fin au câlin en posant cette question et, ayant enfin l'opportunité de les regarder en face, elle écarquilla les yeux, affolée, en constatant que non, ils n'allaient pas si bien que ça.
— Bon Dieu Lip ! s'exclama-t-elle. Qu'est-ce qu'il s'est passé?
Malgré le sourire heureux de son cadet, son visage était salement amoché, entre un œil au beurre noir, une lèvre enflée et apparemment quelques coups qui commençaient à peine à guérir.
— C'est rien, répondit Lip en reculant un peu alors que Fiona scrutait ses blessures, inquiète.
— Rien? On dirait que tu sors d'un ring de boxe !
Indignée par l'état de son frère, elle se tourna vers l'assistante sociale supposée superviser leur rencontre, attendant qu'elle réagisse.
— Nous avons déjà mené l'enquête à ce propos, déclara cette dernière d'une voix calme. Il s'agit simplement de quelques chamailleries avec les autres enfants de la maison, rien de dramatique. Cinq garçons au même endroit, difficile de s'en sortir sans coups bleus.
Elle se voulait rassurante, mais Fiona préféra lui lancer un regard noir. Si son frère de dix ans devait se battre pour assurer sa sécurité, elle avait le droit d'estimer que c'était dramatique. Jetant un coup d'oeil à Ian, qui se tenait désormais en retrait, redoutant une éventuelle colère de la part de sa soeur, elle constata que lui aussi avait une ou deux bosses, mais rien d'aussi voyant que sur Lip. Peut-être n'y aurait-elle même pas fait attention d'ailleurs, si l'état de Lip ne l'avait pas alertée en premier lieu.
Elle passa délicatement ses doigts sur l'oeil gonflé de son frère.
— Tu as mis de la glace là dessus ?
— Oui, grogna-t-il en repoussant sa main. Je vais bien Fiona.
Elle n'était pas vraiment d'accord avec cette affirmation, et aurait aimé que l'assistance sociale s'en préoccupe un peu plus, mais elle semblait trouver parfaitement normal qu'un gamin qu'ils avaient placé dans une famille soi-disant sûre se retrouve ainsi défiguré. Ça la révoltait. Le système la révoltait. Mais elle savait déjà que débattre ne servirait à rien, si ce n'est à attirer plus de problèmes à Lip. Alors, en attendant d'en savoir plus, elle renonça à se lancer là-dedans, et jeta un regard à la pièce autour d'eux avec un soupir.
Cet endroit avait du en voir passer, des gamins perdus aux parents défaillants, et le temps ne l'avait pas épargné.
Des vieux fauteuils avec des coussins raplaplas, des bandes-dessinées qui dataient de plusieurs années et auxquelles ils manquaient plusieurs pages, quelques jouets en piteux état, ... Ce ne fut que lorsque ses yeux tombèrent sur une petite poussette rose avec une roue cassée que Fiona réalisa qu'il manquait quelque chose. Quelque chose d'important.
— Où sont Debbie et Carl ? demanda-t-elle en se tournant à nouveau vers l'assistante sociale.
Celle-ci baisa les yeux sur le carnet qu'elle tenait, souhaitant visiblement éviter de la regarder en face alors qu'elle lui répondait.
— Oh, ils ne viendront pas.
Fiona fronça les sourcils alors que derrière elle, Lip et Ian se redressaient en entendant ça.
— Quoi ?
— Mais pourquoi ?
Les deux garçons se trouvaient à présent de chaque côté de leur sœur, prêts à se révolter face à la future injustice qui les attendait. Pourquoi même quand tout semblait déjà aller pour le pire, il fallait toujours qu'autre chose aille de travers ?
Du coin de l'œil, Fiona pouvait voir Lip serrer les poings, prêt à bondir sauvagement pour remettre à sa place quiconque essayerait encore de les contrarier. Sachant à quel point son cadet était impulsif, elle posa une main apaisante sur son épaule. La violence ne servirait à rien dans leur situation actuelle, si ce n'est à empirer les choses. Cette femme, tout aussi incompétente qu'elle soit, était leur meilleur allié pour qu'ils soient à nouveau réunis tous les cinq.
— Où sont-ils ? demanda calmement Fiona.
— Dans leur nouvelle famille. J'ai transmis votre demande pour les voir, mais leurs parents ont refusé de les amener...
— Ce ne sont pas leurs parents, grommela Ian.
— Ils estiment que ces deux petits ont déjà du mal à s'habituer à leur nouveau foyer, inutile de les perturber en conservant un lien avec vous dans l'immédiat.
— Inutile ? répéta Fiona, stupéfaite par cette réponse. C'est notre petite sœur et notre petit frère ! C'est nous leur famille, pas eux !
— Vous n'avez pas le droit de nous empêcher de les voir !
L'assistante sociale ne sembla pas apprécier leur ton, mais ne le releva pas et tenta de les calmer.
— Ecoutez, votre sœur et votre frère sont en sécurité, dans une bonne famille. Ils ont même fait une demande pour les adopter. Vous devriez être heureux pour eux, ils vont avoir une belle vie et...
— Les adopter?
Sous l'effet de la surprise, Fiona ne pensa même plus à surveiller les réactions de ses frères, et en particulier celle de Lip. Ce dernier explosa brutalement, lassé de leur vie merdique qui ne faisait qu'empirer au fil des jours.
— ILS NE SONT PAS A ADOPTER, ILS ONT UNE FAMILLE ! rugit-il aussi fort qu'il pu avec toute la puissance que lui permettait ses dix ans.
Avec fureur, il attrapa un garage en plastique qui était posé là, à la destination de jeunes enfants qui pourraient jouer avec, et le lança à travers la pièce.
— On a pas besoin de vous ! Vous ne nous aidez pas ! QUAND EST-CE QUE VOUS ALLEZ LE COMPRENDRE. On se débrouille très bien tout seul, sans toute vos merdes de familles d'accueil et d'adoption.
Fiona et l'assistante sociale le regardaient passer sa colère, les yeux écarquillées de surprise et d'incompréhension pour l'une, d'inquiétude pour l'autre. Ian quant à lui se tenait à l'écart, sachant que quand Lip s'énervait comme ça, il valait mieux se faire discret et attendre que l'orage passe.
Alors que Lip donnait des coups de pieds enragés dans les fauteuils, l'assistante sociale se tourna vers Fiona, le regard clairement désapprobateur.
— Je vais devoir mettre fin à cette séance s'il ne se calme pas immédiatement, déclara-t-elle froidement. Et je vais conseiller à sa famille d'accueil de l'emmener voir un psy, ce garçon a clairement des problèmes.
— Ouais j'ai des problèmes, lui lança Lip d'un ton furieux. C'est vous mon problème. Vous et ce putain de système à la con.
Le regard de Fiona passa de son frère à la femme qui notait à présent quelque chose, les sourcils froncés.
Merde. Ça n'allait vraiment pas les aider tout ça.
— Il faut l'excuser, c'est juste dur pour nous ces derniers jours et on était persuadés de voir Carl et Debbie aujourd'hui...
L'assistance sociale parut dubitative, mais semblait encline à se laisser convaincre par ces excuses bancales. Mais pour ça, il fallait que Lip se calme.
— Lip.
Alors qu'il venait de ramasser une poupée défigurée par du marqueur, le garçon se retourna et fixa sa sœur, hésitant entre colère et dé -ci s'approcha lentement de lui et l'attrapa par les épaules pour le regarder bien en face.
— Ça va aller Lip, lui assura-t-elle. Je vais m'en occuper, d'accord?
— Ils sont tous seuls Fiona...tu te rappelles comme Debbie pleurait quand ils les ont emmenés? Il faut les retrouver, ils ont besoin de nous...
— Je sais Lip, je sais. Mais là tout de suite, on a tous besoin que tu te calmes et que tu maîtrises ta colère, okay?
Le regard un peu perdu, mais visiblement apaisé, Lip acquiesça.
— Très bien, assieds-toi, et moi je vais aller parler avec l'assistante sociale. Ian, tu peux rester près de lui?
Aussitôt, Ian alla s'asseoir à côté de son frère et échangea un sourire triste avec Fiona.
— Il faut ramener Debbie et Carl, lui murmura-t-il.
— Je sais.
Sachant qu'ils comptaient sur elle, tous les quatre, Fiona retourna à côté de l'assistante sociale, et se fit la plus polie possible.
— S'il vous-plait, il n'y a vraiment aucun moyen de les contacter? Vous ne pouvez pas me donner leur adresse? Ou un numéro de téléphone ? N'importe quoi ?
Malgré ses yeux suppliants, la femme ne céda pas.
— Non, les règles sont les règles, et je ne peux dévoiler ces informations qu'à vos parents.
Leurs parents. Une étincelle de colère et de rancœur s'alluma dans le cœur de Fiona alors qu'elle pensait aux deux incapables qui étaient désignés par ce nom.
— Est-ce que vous pouvez au moins nous laisser seuls tous les trois? demanda-t-elle en désespoir de cause.
L'assistante sociale parut hésiter, s'inquiétant sans doute que Lip ne casse quelque chose, mais elle finit par acquiescer.
— D'accord. Je reviens dans une heure. Vous ne quittez pas la pièce, sauf pour aller aux toilettes ou venir me trouver, je serais dans mon bureau en cas de besoin.
Les trois frères et sœur opinèrent sagement, sachant que c'était là leur seul moyen d'avoir un peu d'intimité. Satisfaite, la dame quitta la pièce, persuadée de faire sa bonne action de la journée en les laissant sans surveillance.
Alors qu'elle refermait la porte derrière elle, Fiona alla s'asseoir près de ses frères, et soupira longuement. Puis, avec un sourire, elle leur prit à chacun une main.
— On va s'en sortir les gars, je vous le promets.
— Qu'est-ce que tu en sais ? répondit Lip avec une pointe de colère.
— Parce qu'on est des Gallagher.
— C'est pas une raison valable.
Avec rage, il donna un grand coup de pied dans la poupée qu'il avait posé par terre en s'asseyant.
— Ça t'arrive souvent, ce genre de colère ? Demanda sa soeur en fronça les sourcils.
— Yep, répondit Ian à voix basse.
— Non, répliqua Lip. J'ai plus le droit d'être énervé maintenant ?
Fiona ne répondit pas et resta songeuse un moment. Lip avait toujours eu du mal à réprimer ses émotions, et il partait vite dans des extrêmes à n'en plus finir. Tout petit, il faisait des crises monstrueuses sans aucune raison apparente – bien que , un père alcoolique qui l'oublie au bord de la route ou une mère farfelue qui le réveille à trois heures du matin pour regarder un film semblaient être des raisons suffisantes pour expliquer ce déséquilibre – mais il semblait s'être calmé en grandissant. Si ça le reprenait maintenant, elle aimerait être au courant. Mais peut-être que c'était normal, avec tout le chamboulement qu'il y avait dans leurs vies actuellement.
— Ça vient de là toutes ses blessures ? demanda-t-elle en les examinant un peu mieux.
— Non, grogna Lip. C'est juste les autres garçons de la maison qui aiment se battre.
— Vraiment ?
Elle était plus que dubitative face à cette explication, mais son frère semblait vraiment de mauvaise humeur et peu enclin à répondre à ses questions.
— Oui vraiment ! S'agaça-t-il. Je vais bien Fiona, j'ai pas besoin que tu t'occupes de moi !
Il ne supportait pas qu'elle le traite comme un bébé, il avait dix ans, presque onze, il était capable de se débrouiller tout seul.
Fiona jeta un coup d'œil à Ian qui fixait ses chaussures, souhaitant visiblement éviter de croiser le regard de sa sœur. Donc ils cachaient bel et bien quelque chose. Elle poussa un autre soupir, réalisant que plus ces deux là grandiraient, plus ils feraient des trucs en cachette.
— Écoutez, je veux juste m'assurer que personne ne vous maltraite injustement, d'accord ? Je sais que ce ne sont pas de "simples chamailleries entre frères", parce que ce ne sont pas vos frères. Moi aussi je suis en famille d'accueil, et moi aussi j'aimerais éviter que vous sachiez ce que je vis là-bas, parce que c'est le genre de choses qu'on a envie de partager avec personne, et certainement pas avec ceux qu'on aime. Mais vous devez me promettre que personne ne vous fait volontairement du mal, d'accord ?
Lip baissa les yeux, partagé entre l'envie de se confier à Fiona - parce que c'était Fiona et qu'elle arrangeait toujours tout - et celle de tout garder pour lui. Parce qu'il n'était plus un enfant, et parce qu'il savait que toujours demandé à Fiona de les sauver n'était pas la solution. Parce qu'elle était sa soeur tout autant qu'il était son frère, et qu'il n'y avait aucune raison pour que ce soit toujours à elle de les protéger. Lui aussi voulait la préserver de cette vie qu'ils ne méritaient pas. Tous les préserver. Fiona. Ian. Carl et Debbie.
— C'est juste ce gars, finit-il par admettre. Le fils biologique de la famille d'accueil. Il a 15 ans. Il se croit plus malin que tout le monde et il s'énerve quand je lui prouve.
— Il a quinze ans et il tabasse des gosses de 10 ans ? s'emporta aussitôt sa sœur.
— Il ne m'a pas tabassé ! protesta Lip. Il nous juste un ou deux coups au passage, parce qu'il pense être le roi de sa maison, et ses parents l'encouragent. Mais il est juste stupide, je peux le gérer.
Le regard de Fiona passa de Lip à Ian, qui fixait ses chaussures. Son cœur se serra en réalisant à quel point ils devaient se sentir mal dans cette maison. Ce n'était pas leur place, ils avaient une maison. Ils méritaient de se sentir en sécurité.
— Ne t'inquiète pas pour nous deux Fiona, ajouta Lip. Je protégerai Ian, et moi, je peux supporter cet imbécile. Toi, concentres-toi sur Carl et Debbie. Il faut les retrouver. Les récupérer.
Sa sœur acquiesça. C'était vrai. Debbie et Carl. Il fallait qu'elle trouve une solution pour empêcher leur adoption. Ils n'avaient pas le droit de les laisser dans les mains de purs inconnus.
Du coin de l'œil, elle vit Ian serrer les poings, alors que sa tête était toujours résolument baissée, comme s'il voulait cacher son visage. Et les larmes qui brulaient ses yeux.
Sans un mot, elle passa doucement sa main dans ses cheveux pour le réconforter. Et sans doute aussi pour se réconforter elle-même. Elle avait besoin de tendresse, ils en avaient tous les trois besoin. Et dans l'immédiat, c'était tout ce qu'ils pouvaient s'offrir les uns aux autres. Quittant les cheveux flamboyant de son cadet, la main de Fiona alla chercher celle, plus petite, de Ian, pendant que son autre bras se tendait pour saisir celle de Lip.
C'est à ce moment que Ian redressa la tête et leur sourit à tous les deux.
— Ça va aller, déclara-t-il avec une conviction surprenante. On va s'en sortir. L'important, c'est de rester ensemble.

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