Scultpture de ballon

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Le nez rouge mis en place, j'arborais le sourire blanc et malicieux de mon travail. Faisant fuir certains, il attirait les autres. J'arpentais les ruelles encombrées de la fête foraine dans mon costume large et marchais à pas pesants dans mes souliers bien trop grands. La lumière faisait ressortir mon teint blafard et rebondissait sur les ballons multicolores dans mes mains. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, j'aimais mon travail ; j'aimais faire le pitre devant les petits ; j'aimais fabriquer des structures en ballon de baudruche ; j'aimais être un clown. Mais je détestais cette ville.

Je me postais devant la cabane s'intitulant « Maison de Goyo le Clown » et commençait à rire et jouer. Les enfants s'arrêtaient, me regardaient, s'esclaffaient, venaient prendre des photos avec moi. Mais je ne pouvais empêcher un rictus mauvais chaque fois que les personnes alentours complimentaient la place. Je détestais cet endroit. Certains disaient que le maire en personne viendrait assister au spectacle de la fête des forains. Je détestais cet homme.

Dans ma jeunesse, lui et moi étions amis d'enfance. Comme tout garnement, on avait fait les quatre cents coups et ces années avaient été les meilleures de toute ma vie. Seulement, le bonheur n'avait pas duré et le temps des joies enfantines avait vite cessé. Il m'avait tourné le dos, ridiculisé au point de me contraindre à partir. J'étais devenu la risée de la ville tandis qu'il devenait de plus en plus populaire et de plus en plus odieux avec moi. Il m'avait trahi. Il m'avait brisé. J'avais voulu me venger, je n'en avais pas eu le courage. J'étais faible. Je ne le serais plus jamais.

Tout ce temps, j'avais eu maintes idées de souffrance à lui faire mais je n'étais jamais revenu. J'avais décroché ce boulot, et lui était passé maire. Aujourd'hui il allait venir. Ce soir, la ville ne connaîtra plus de maire. Il doit mourir. Mon sourire s'agrandit, mauvais, et je me permis un petit rire. Les adultes me regardèrent étrangement et les enfants passèrent leur chemin, les yeux paniqués. Je faisais peur ? Parfait. Finalement, je détestais mon travail.

Les murmures se firent entendre, M. le maire était là. Mon regard s'assombrit, mon sourire grandit. Il était accompagné de sa femme, jolie, et d'un petit bout de chou qui semblait ne pas avoir plus de cinq ans. Il me donnait envie de vomir avec son foutu bonheur. Il doit mourir. Il saluait chaque personne, parlait avec eux, souriait et plaisantait. Je voulais le lui arracher, à mains nues s'il le fallait. Il osait se marrer le monstre ? Je fronçais les sourcils. Se souvenait-il de mon malheur ? Il doit mourir.

Il arriva vers moi. Je repris mon personnage clownesque et pinça mon nez rouge. Son enfant s'approcha de moi.

- Alors mon enfant, tu veux un ballon ? Je lui demandais niaisement.

- Oh oui M. le Clown, il me répondit de sa voix aigüe.

Son père le rejoignit alors que sa femme semblait en plein commérage. Parfait. Il chuchota quelque chose à son petit garçon qui secoua la tête et se releva, le couvant du regard.

- Mon fils est timide, commença-t-il, mais il aimerait beaucoup que vous lui fassiez une sculpture monsieur...

- Goyo, Goyo le Clown.

- Bien sûr. Excusez-moi, c'est juste que... vous me rappelez quelqu'un, hésita-t-il.

Alors il se rappelait de moi ? Non, impossible. Cet homme était un égoïste. Je regardais les traits de son visage reconnaissable. Son nez tordu, son menton en pointe et surtout ses yeux rapprochés qui fixaient avec amour son enfant. Il doit mourir. Je pouvais le tuer là, tout de suite, il était à portée de mes mains. Mais je ne fis rien. Le tuer ne serait pas assez cruel. Il ne doit pas mourir. Pas tout de suite. Il doit souffrir. Je devais le regarder depuis trop longtemps, il se racla la gorge.

Sculpture de ballonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant