La Mort du Roi

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Les portes tremblèrent. Une fois. Deux fois. Avant de s'ouvrir dans un profond fracas. Les dieux lâchèrent le bélier, et s'engouffrèrent dans le château L'excitation était à son comble. Les combats faisaient rage tout autour d'eux. Les derniers guerriers, fidèles au roi, étaient décimés les uns après les autres. Les trahisons avaient été si nombreuses que peu d'hommes étaient restés défendre la demeure du roi. Les derniers étaient des fous, tués par leurs anciens camarades.

Neil traversa la foule, fauchant au passage de nombreuses vies. Il ne s'attarda pas sur ses assaillants, menant l'assaut sans y prêter garde. Il arriva dans la salle du trône.

Elle était aussi imposante que dans ses souvenirs. Le reflet parfait de la personnalité du roi. Un lieu où le malaise était constant. Un lieu ayant abrité la débauche. Il cracha, et s'avança.

Au fond de la salle, un trône imposant semblait ancré dans le sol. Et dessus, comme endormi, l'homme responsable de toute cette misère. Un gobelet d'argent à la main, les yeux fermés, il était à la merci des assaillants.

« Nous arrivons à temps. Le somnifère a fait effet. » Soupira Neil à son compagnon d'armes, qui hocha la tête.

Il ordonna :

« Attachez-le, avant qu'il ne se réveille. Et trouvez ses partisans. Nous les jugerons dès que possible.

- Bien mon seigneur. »

L'homme se permit un soupir de soulagement, et regarda les guerriers soulever le roi endormi. Même dans cet état, il respirait la cruauté. Il continuait à inspirer la crainte.

« Quand il sera mort, ce sera un soulagement. Dépêchons-nous de finir les préparatifs.

- Serah, où est le conseiller ? » demanda Neil, en examinant les alentours. « Je ne l'ai guère vu depuis la bataille. Est-il mort ?

- Nous l'avons capturé. Ses mains sont liées, mais personne n'osait s'attaquer à lui.

- Nous devons nous assurer qu'il ne posera pas de soucis lors du jugement. » L'homme désigna une cour à l'extérieur, et ajouta :

« Vous devriez aller lui parler.

- L'ancien apprenti s'occupe de son maitre, n'est-ce pas ? » ricana Neil, froidement.

Il n'avait aucunement l'envie de supporter les reproches de son maitre, et encore moins de voir son regard ambré se teinter de déception. Néanmoins, il n'avait guère le choix. Il attrapa une hache, et prit la porte en la serrant entre ses doigts. En cas de soucis, il devait se défendre.

Quitte à tuer celui qu'il admirait depuis son plus jeune âge.

Les prisonniers de guerre avaient été réunis dans la cour, dans des cages grossières de bois. Ils regardaient les révolutionnaires passer avec le visage teinté de dégout. Le mépris se lisait sur leurs yeux. Au centre de l'une de ses cages, un homme au teint cireux était assis, le visage ravagé par l'inquiétude.

Dès que Neil s'approcha, il se précipita aux bords de sa cage, et s'exclama :

« Mon ami ! Libère moi.

- Je ne peux pas, Riddim. » Neil secoua la tête, accablé. « L'ère des premiers dieux est finie. Vous avez abusé de vos pouvoirs, et détruit notre terre. Nous devons rétablir la paix maintenant.

- La paix n'est qu'un principe. Elle n'existe pas. Elle n'a jamais existé. Avez vous vraiment perdu l'esprit au point de trahir vos pères pour une idéologie sans fondement ?

- Ose me dire que la folie n'a pas rongé chacun d'entre vous. Guadrevin est devenu l'ombre de lui-même. Feths a détruit nos forêts. Tu as oublié ton âme. Ekhlat est mort. Vous n'êtes plus capables de régner sur les Abarians. C'est à notre tour de tenter notre chance.

- La folie te guette aussi mon ami. »

Riddim se laissa tomber sur le sol, et détourna les yeux avec dépit. Les mains liées, il ne pouvait agir. Il allait abandonner lorsqu'il vit des soldats passer, d'immenses branches dans les bras. Il releva les yeux, interrogateurs. Neil répondit à sa question muette :

« Il s'agit des préparatifs pour le bûcher.

- Le bucher ? » répéta bêtement Riddim avant de comprendre. « Vous n'oseriez pas ...

- Nous n'avons pas le choix. Le seul moyen d'expier ses fautes et de laver son âme est de le tuer dans la peur. Son angoisse la plus profonde lui permettra de mourir loin de ses pulsions malsaines. »

Riddim ferma les yeux, et se détourna. Comprenant qu'il ne pourrait rien tirer du conseiller, Neil fit volte-face. Les préparatifs l'attendaient.

Le soleil se couchait quand les dernières planches furent installées. La place grouillait de monde, soldats, hommes, femmes, enfants. Tous partageaient leur opinion à propos de la révolution.

Et tous semblaient soulagés que le règne de douleur prenne enfin fin. Les derniers contestataires avaient été décimés, et seuls les dieux importants étaient encore en vie, attendant leur jugement avec crainte.

Riddim ne faisait pas partie de ceux-là.

Il serait libéré, une fois le roi définitivement partit. En attendant, ses bras avaient été liés, et deux gardes le surveillaient chaque seconde. Il avait tenté maintes fois de s'enfuir, en vain. Sans ses mains, sa magie lui était impossible. Sans ses mains, il ne pouvait dégainer son épée. Il était aussi inoffensif qu'un nourrisson. Et ses cris de rage ne cessaient de couvrir les murmures incessants du peuple.

Et c'est installé en première loge, à quelques pieds du bucher, qu'il assista à toute la scène.

Le jour avait presque disparu quand le roi fut amené. Son visage gardait encore quelques traces de son précédent sommeil, mais cet aspect était totalement éclipsé par la haine qui déformait ses traits.

Bâillonné, seuls des grognements étouffés par le tissu s'échappaient de sa bouche. Il se débattait, mais la fatigue et les années de maladie l'avaient laissé faible. Il lui était impossible de se défaire seul.

Riddim le regardait avec tristesse, ne souhaitant qu'une chose. Se lever et lui apporter son soutien. Mais il avait tant crié qu'il en avait perdu la voix. Les larmes perlant aux coins des yeux, il vit ses propres fils attacher leur roi, le dénuder aux yeux du monde, et le juger.

Guadrevin, le regard empli de terreur, regarda la mort venir à lui.

La mort sous la forme de sa pire crainte. Le feu. Les flammes l'engloutirent rapidement, et ses cris de douleur se mélangèrent au crépitement.

Il ne resta bientôt plus rien de celui qui avait été le père de tous. Et seul Riddim pleura réellement l'homme.

Les larmes coulèrent des yeux de ses sujets. Des larmes de soulagement.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 13, 2020 ⏰

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