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 Néo ne me laissa pas le temps de comprendre la gravité de la situation. Il m'attrapa le poignet et se mit à me tirer frénétiquement le bras.

- Dépêche, les flics vont bientôt arriver, ils ne doivent pas nous trouver ici.

Mortifiée, je ne pouvais émettre le moindre son et encore moins bouger un seul de mes membres. Mon regard était perdu sur la flaque de sang rouge vif qui se formait sous le cadavre de l'homme que je venais d'abattre. Dans ma tête, il y avait eu comme une grande explosion, des nuages de fumée s'élevaient et intoxiquaient lentement mes pensées jusqu'à ce qu'il fasse trop noir pour y voir clair. Je ne savais plus rien, j'avais jusqu'à oublié l'endroit même où nous nous trouvions, le jour qu'il était ou encore mon propre prénom. Tout jusqu'à la moindre information avait été supprimée de ma mémoire. La seule chose que je savais à cet instant précis, c'était que j'avais tué ce gars de mon plein gré, que je lui avais ôté la vie. Désormais, ce n'était définitivement plus lui le criminel.

Comme un poison âcre, la panique m'envahit lentement et je perdis toute contenance face à ce spectacle macabre dont j'étais l'auteure. Ma bouche était entrouverte, je pouvais presque sentir le goût du sang couler sur mon palais _ j'avais certainement dû me mordre la langue en courant. Mes doigts me brûlaient, comment avais-je fait pour tirer, je n'avais jamais utilisé de revolver auparavant ? L'instinct peut-être, la peur ? Ou alors, un élan de courage qui m'a traversé alors que je m'y attendais le moins...? Comment pouvais-je avoir eu du courage dans un tel moment, et comment avais-je pu l'utiliser d'une façon aussi dangereuse et mauvaise ? Pouvait-on encore appeler ça de la défense alors que ce n'était même pas moi la victime ? Tant de questions se bousculaient dans ma tête auxquelles je n'avais aucune réponse à apporter.

C'était comme si l'espace d'un instant je n'avais plus été maître de moi-même, qu'un démon avait scrupuleusement pris possession de mon corps pour commettre l'irréparable avant de me le rendre, sale, impur, souillé, détruit. Détruite, c'était le mot exact pour décrire ma vie à cet instant même. Tout ce que j'avais bâti en dix-sept ans, mon bon comportement, mon parcours scolaire irréprochable... Je n'avais plus rien, plus rien d'autre qu'une arme encore brûlante entre les doigts et une mort sur la conscience. Le casier judiciaire que j'allais avoir allait m'empêcher à coup sûr de rentrer dans toutes les universités auxquelles j'aspirais. Merde, si je réussissais à obtenir un travail de serveuse ou d'agent d'entretien après ça, ce serait déjà un miracle. Peut-être que j'allais faire de la prison. Que diraient mes parents quand ils sauraient ce que leur fille avait fait ? Mon Dieu, mais qu'avais-je fait...

À quel moment avais-je bien pu perdre autant le contrôle ? Est-ce que c'était à l'instant, quand j'ai tiré sur ce gars pour sauver Néo ? Ou tout à l'heure, quand j'ai décidé de retourner l'aider alors que j'aurais sans doute mieux fait de fuir lâchement ? Peut-être que tout était une erreur, en y réfléchissant bien. Peut-être que c'était moi, que j'étais l'erreur, ça devait être pour ça que rien de ce que j'entreprenais ne réussissait. Où avait bien pu passer Cam, la gentille petite adolescente respirant l'innocence et la joie de vivre que tous connaissaient ? Est-ce que j'avais toujours été comme ça ? Ce qui était sûr en tout cas, c'est que je n'étais plus tout à fait moi-même, et que c'était irrévocable. Une petite parcelle de moi était partie en même temps que le coup, et elle mourait à petit feu, elle s'éteignait dans le silence de cette nuit de mars qui n'en finissait pas.

- Hé, je te parle ! me cria le brun en approchant son visage du mien, l'air paniqué et énervé. Tu entends ce que je te dis ? Si la police nous retrouve, on est foutu, alors si tu tiens à ton joli petit cul, tu ferais bien de te magner !

Ses paroles déplacées me permirent d'émerger de la transe dans laquelle je m'étais plongée. Tout à coup, il n'y avait plus ni de peur ni de regret dans mon regard, mais une haine innommable envers cet imbécile qui me faisait face. Je me sentais soudainement bien naïve de lui avoir sauvé la vie.

FugitifsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant