La fête des saisons

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Eoran se réveille avec un mal de tête atroce. Il a encore abusé de l'hydromel la veille au soir, pendant la fête des saisons. Une fête parmi tant d'autres. Son père, le roi Ertorio ne se lasse pas de lui reprocher ses mœurs dissolues. Selon lui, un prince se devrait d'étudier, de s'entraîner au combat, de se préparer à prendre le trône et à comprendre les rouages du royaume ; non pas à passer ses nuits avec les jeunes elfes de la cour à s'enivrer et danser jusqu'à l'aube. 

Mais le jeune prince n'en a que faire. La vie de la cour des elfes ne l'intéresse pas vraiment. Tous ces vieux elfes aristocrates qui cherchent à le séduire, lui présenter leurs filles pour accéder à la famille royale... Et son père est si sérieux, si englué dans sa fonction qu'Eoran ne se sent absolument pas pressé de prendre sa suite. D'autant plus que son père est très jeune encore. A à peine 264 ans, il a encore au moins une centaine d'années devant lui avant qu'Eoran prenne à son tour le sceptre des elfes. Pas de quoi s'inquiéter pour le moment. 

Les deux soleils sont déjà levés depuis quelques heures sur Plutora. La lumière se déverse à flot dans la chambre princière à travers les rideaux légers de soie amarine. Ce tissu, rare et onéreux ne se trouve pas partout, car les chenilles qui fabriquent sa soie sont peu nombreuses et ne sortent de leurs cocons qu'après une léthargie de 30 ans, et meurent seulement après une journée de vie. 

Tout son monde est composée de meubles précieux, de miroirs ornés de pierres et de feuilles d'or, de tapis faits de fibres végétales d'Ourdebousiers, ces arbres que l'on trouve dans le sud de la planète, et qui ont la particularité de se mettre à briller quand le jour tombe. 

Eoran a toujours connu ce monde de richesse et de faste. Ses 25 années de vie ont été bercées dans la douceur d'une mère aimante, la reine Ishtara, au contraire de la froideur de son père Ertorio, le roi. Premier né de la famille, il est destiné à régner un jour sur le monde des elfes de Plutora, la 3ème planète du système d'Oriani. Son peuple est le seul humanoïde de cette planète où la paix règne depuis des millénaires. 

Eoran se met en position assise dans son grand lit aux draps de soie amarine rouges bordés d'un liseré d'or. Le jour est déjà bien avancé, et il sait déjà que son père va lui faire une réflexion quand il entrera tout à l'heure dans la salle du trône. "Tu es toujours en retard, comment veux-tu un jour prendre la tête de ce royaume si tu n'écoute jamais ceux qui y vivent". Toujours la même rengaine... En se frottant ses yeux encore plein de sommeil, il découvre près de lui une forme sous les draps. Ses souvenirs se remettent en place petit à petit. 

La soirée de la veille. 

Tout le beau monde de la jeunesse dorée d'Orphana, la capitale du royaume est là. Les musiciens jouent des rythmes effrénés sur leurs vielles et les elfes, garçons et filles virevoltent sur les lattes de parquet de la grande salle de réception du château suspendu dans les arbres. De l'hydromel coule à flot dans les choppes, et Eoran est entouré d'un tas de gens qui viennent le saluer, lui parler, essayant d'attirer son attention. Sa fonction à venir le rattrape toujours. Alors qu'il commence à fort s'ennuyer avec une jeune elfe de son âge qui lui parle depuis trop longtemps de son père, riche revendeur de bois rare, il relève la tête et aperçoit au bar un garçon qu'il n'avait encore jamais vu. 

La fête des saison est une des plus belles fêtes de l'année. Elle attire chaque fois des milliers d'elfes habitant loin de la capitale, qui viennent pour y faire du commerce, profiter des festivités, mais aussi être bénis du dieu Ykphor le dernier jour, lors d'une grande cérémonie organisée par les sages elfiques. La fête dure 3 jours et les soirées sont le cadre de rencontres de tous les jeunes du royaume. 

Ce qui est sûr, c'est que ce jeune elfe n'est pas d'Orphana. A voir ses vêtements un peu trop courts, coupés dans un tissu rêche, et son chapeau, il n'est pas au fait de la mode en cours à la capitale. Ce qui paradoxalement, aux yeux d'Eoran, donne à ce jeune garçon blond et musculeux un certain charme. Il l'observe quelques secondes et constate avec amusement que le jeune elfe a bien du mal à accéder au bar pour être servi d'une choppe d'hydromel. Trop timide certainement pour protester devant tous ces jeunes malpolis qui se bousculent devant lui. 

- Excuse-moi Oana, j'ai quelque chose d'important à faire, je dois te laisser.
La jeune elfe qui s'était assise près d'Eoran reste interdite quelques secondes à ces mots.
- Oh. Absolument votre altesse. Mais je m'appelle Divana, pas Oana répond-elle enfin, se détestant de n'avoir pas su capter l'attention du prince.
Eoran se lève et se dirige vers le bar où attend encore le jeune elfe. A la vue du prince, un des serveurs fait des signes aux jeunes qui se pressent devant le bar afin qu'ils se poussent. Les elfes mécontents se retournent, mais reconnaissant Eoran lui font de la place. Il atteint le bar entouré d'une sorte de haie d'honneur, ce qui le fait rire intérieurement. Il commande en quelques secondes deux choppes d'hydromel et se dirige vers le blond au chapeau. 

-Tiens, je te l'offre. Tu ne seras jamais servi à ce rythme là.
Le jeune elfe blond jette un oeil par dessus son épaule, pas vraiment certain que la proposition - et la choppe - lui soient adressés.
- Euh, merci beaucoup. Je suis Gweldin, de la province d'Ambroisie, au sud du continent. Il y a beaucoup de monde ici, je n'ai pas vraiment l'habitude.
- Je me doutais que tu n'étais pas du coin. Eoran, enchanté ! Ça te dit de parler un peu à l'écart, je sens que tout le monde nous regarde.
- Avec plaisir, je commence un peu a étouffer avec tout ce monde. C'est étrange d'ailleurs, que tout le monde nous regarde. Et comment as-tu fais pour accéder au bar aussi vite, avec tout le monde qui se dégage sur ton passage ? Tu es connu par ici ? C'est toi le responsable de la salle de réception ?.
-Suis moi, je vais t'expliquer.
Eoran s'engage dans la foule en direction du fond de la salle, vers la terrasse, un sourire en coin flottant sur les lèvres. 

Gweldin suit le jeune prince avec difficulté, essayant de se fondre dans la foule avec autant d'aisance qu'Eoran. Il arrive sur la terrasse avec quelques secondes de retard, et cherche un instant le jeune homme qui l'a guidé. Celui-ci est déjà au bout de la terrasse, assis en tailleur au bord du parapet. L'arbre qui porte la salle de réceptions d'Orphana est un des plus vieux et des plus grands de la capitale. Sa grande salle se répartit tout autour du tronc d'une dizaine de mètres de diamètres, et est perchée à une centaine de mètres de hauteur. Ce qui donne le tournis à Gweldin, peu habitué à être si haut, les habitants du sud ne vivant pas dans les arbres mais dans des habitations creusées sous terre. Il s'assoit néanmoins juste à côté du prince, jetant des coups d'oeil inquiets vers le sol. 

- Je suis content de t'avoir trouvé. Depuis que je suis arrivé hier à Orphana, j'ai vu beaucoup de monde, mais j'ai l'impression que personne ne s'intéresse à moi. Cette ville est trop peuplée, trop rapide, trop excitée.
- Je vois ce que tu veux dire, répond Eoran, mais je suis né ici et je connais la ville comme ma poche. Elle a beaucoup de secrets et de charme à révéler à qui sait l'écouter. Je te montrerais, si tu restes assez longtemps.
- Oh, je ne repars que dans une demi-lune, je suis envoyé ici par mon père pour vendre des peaux de Molbacks, nous en avons un grand troupeau dans les plaines du sud. 

Les deux garçons se taisent, et leur silence exalte le prince. Il a envie de se jeter sur ce jeune homme qui n'est pas d'ici. Profitant de la pénombre, il jette un coup d'oeil sur le garçon assis près de lui. Les seules lumières sur cette terrasse émanent des fleurs de Frictus qui flottent dans les airs, parfois emportées par les légers courants d'air de la soirée. Une des fleurs se trouve juste derrière Gweldin, révélant les muscles de son cou et suggérant un corps tout en finesse et en muscles. 

Eoran se risque à glisser sa main derrière lui pour se poser en douceur sur le dos de Gweldin. Sous le tissu rêche de sa chemise, il sent la chaleur de son corps. Mais celui-ci se retourne précipitamment, une grimace lui traverse son beau visage.
- Qu'est ce que tu fais, là? dit-il en se relevant d'un bond ?
- Excuse moi, Geldwin, je pensais que...
- ...Tu pensais que j'étais gay, le coupe t'il, furieux. Je sais qu'ici, à Orphana, vous êtes tous un peu bisexuels, gays, hétéros, peu importe. Mon père m'avait prévenu.  Mais en Ambroisie, ça ne se passe pas comme ça, alors calme toi !

L'exilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant