La salle des requêtes

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- Le prince Eoran.
Difficile de passer inaperçu avec le garde qui annonce chaque personne entrant dans la salle des requêtes. À pas rapides, le prince traverse la grande salle et se dirige vers l'estrade où siègent au milieu le trône de son père, le fauteuil de sa mère à la gauche du roi, et le sien à sa droite, désespérément vide. 

Toutes les personnes présentes se tournent vers le nouvel arrivant, et lui font un passage. Alors qu'il franchit les derniers mètres le séparant de son fauteuil, Eoran aperçoit du coin de l'œil le regard dur et les sourcils froncés de son père. Bien entendu, il ne dira rien en public, mais sitôt la session de requêtes terminées, il en aura pour son grade d'être encore une fois arrivé en retard. 

Eoran s'assied et les regards se tournent de nouveau vers le roi Ertorio. Le cours des choses se remet et un vieil homme, placé au bas de l'estrade un genou à terre reprend un discours que le prince a dû interrompre. 

- Comme je le disais à l'instant, votre majesté, des nuées terribles de Stippa, ces insectes ravageurs, se sont abattues sur nos cultures ce printemps. Il n'en reste pas le tiers et je ne sais pas comment nous allons pouvoir payer nos taxes. Cela nous a pris de court, mais nous sommes complètement fauchés. 

Le roi, un bras posé sur l'accoudoir du trône, se caresse le bouc en émettant un grognement. C'est ce qu'il fait chaque fois qu'il se concentre. Le silence est palpable dans la salle d'audience. Lorsque le roi parlera, ce sera pour donner son jugement, réputé pour être de grande sagesse. Le vieil homme, qui a maintenant baissé la tête semble tendu et ne respire plus, dans l'attente du verdict.

- Si tel est le cas, alors je m'étonne de n'avoir pas eu plus de plaintes de ces nuées de Stippa d'autres agriculteurs de votre province, mon brave. Une nuée ne s'abat pas sur un champs, mais décime des régions sur leur passage. Si je devais en recevoir de nouvelles d'ici là fin de cette session alors je vous épargnerais les taxes pour cette saison, pour vous aider. Mais s'il s'avère que vous êtes le seul à vous plaindre de cette terrible nuée, et que vous n'êtes pas à même de me prouver la véracité de vos dires, alors vous êtes un menteur, et vous me paierez donc le double de taxes.

Le vieil homme, une goutte de sueur perlant sur son front, devient rouge instantanément. Il a été percé à jour et n'échappera pas aux taxes. Quelle idée lui a pris de venir tenter le diable avec le roi. Il n'aurait pas du jouer aux paris de chevaux cette hiver. Cette terrible addiction le perdra.

Eoran observe le jeune homme bredouiller quelques mots, tout en malaxant son chapeau entre ses mains moites. Il n'a pas l'air à l'aise du tout, et le jugement de son père a encore une fois été clairvoyant. Le paysan d'un air penaud fait quelques pas à reculons avant de sortir prestement de la grande salle.

Une femme et ses deux jeunes elfes d'environ 3 et 5 ans prennent sa place. Son mari est mort et ayant été il y a longtemps garde au palais elle aimerait obtenir une bourse, ce qui lui est refusé pour des raisons administratives. Les requêtes se succèdent. La plupart du temps les demandes sont les mêmes. Plus d'argent, moins de taxes, des conflits où chacune des parties se fait passer pour la plus innocente. Il faut souvent poser une seule question pour arriver à faire le discernement et trouver le vrai du faux. Mais l'important est de poser la bonne question. Et le roi excelle apparemment en la matière. 

Tandis qu'Eoran commence à s'ennuyer ferme, son esprit vagabonde sur la soirée de la veille. Le beau Gweldin. La tête de Divana quand il lui propose finalement de l'emmener dans sa chambre, alors que Gweldin embrasse une elfe rouquine à l'air complètement idiot. Il le sait, il a fait ça uniquement pour voir la réaction du beau paysan. Mais trop occupé avec sa nouvelle conquête, il ne lui jette même pas un regard. Et puis ensuite la déception de la jeune elfe quand le prince et elle se glissent dans les draps et que celui ci, passablement énervé lui tourne le dos sans un mot et feint de s'endormir. 

L'esprit du prince s'est évaporé dans les méandres de son esprit un temps indéfinissable. Quelques minutes ou plusieurs heures. C'est une voix familière qui le sort du cours de ses pensées. Devant lui, là ou se sont succédés paysans, voisins, veuves, vieillards de son royaume se tient désormais le beau Gweldin. Eoran se remonte sur son siège - il ne s'était pas rendu compte qu'il était complètement affalé - remet en place le col de son costume et prend un air sérieux et concerné. Gweldin, qui vient juste de se présenter, est lui aussi un genou à terre et la tête un peu courbée. Ce qui lui permet néanmoins de jeter un coup d'oeil au manège du prince et qui lui donne un sourire en coin.

- Or donc, Gweldin Yovaad de la contrée d'Ambroisie, que viens-tu faire ici dans la salle des requêtes ? reprend le roi.
- Votre altesse, c'est la première fois que je viens à la capitale du royaume. Mon père m'envoie ici pour vendre les peaux de notre troupeau de Molbacks. Mais je me suis aperçu en visitant le palais et les alentours que vous avez, sur vos arbres terrasses, des tentures disposées entre les branches qui protègent des rayons des deux soleils. Or ils sont en simple toile tissée. Ce qui ne garantit pas une protection efficace. De plus, elles ne sont pas imperméables et j'imagine qu'elles doivent s'user rapidement. La peau des Molbacks en revanche est légère, mais aussi imperméable et laisse passer une douce lumière tout en protégeant des rayons. 

Le roi Erotorio ne prit pas la peine de réfléchir bien longtemps avant de répliquer. 

- Vous êtes bien effronté, jeune elfe. D'une part ce n'est pas ici, dans la salle des requête que votre demande devrait être faite. Il s'agit d'un accord commercial. De plus, nous avons des tisserands, qui utilisent les meilleurs matériaux pour les confections liées au palais, et cela déjà depuis des générations. Je ne vois absolument pas pourquoi ils ne m'auraient pas proposé des peaux de Molbacks si cela avait été nécessaire. 

Eoran, pris de cours par le discours de son père, intervient alors.

- Père, sans vouloir reprendre votre parole, je trouve ce jeune elfe plutôt audacieux de s'adresser à la famille royale en personne. Cela fait preuve de courage et de détermination. De plus, je pense que ce serait une économie énorme s'il s'avérait que nous puissions remplacer ces toiles par des peaux de plus grande qualité et moins onéreuses. Peut-être nos tisserands ne sont-ils pas au courant des propriétés de ces peaux. Il serait dans ce cas judicieux de leur soumettre un échantillon, si Gweldin y consent, bien sûr. Eoran en disant ces mots et se sentant rougir, avait baissé le ton. 

- C'est bien la première fois que je vous vois vous intéresser à une affaire de la salle de requêtes, mon fils. Mais votre raisonnement est sensé et je me réjouis que les affaires du palais commencent à vous intéresser. Si le sieur Yovaad y consent, nous pouvons apporter une de ses peaux à nos tisserands qui jugeront s'il est intéressant de recourir à son matériel. Mais je ne veux plus d'affaires commerciales pendant les sessions de requêtes, que cela soit clair. 

- Bien entendu, j'y consent, et vous remercie de votre effort tout en vous félicitant de votre clairvoyance, répond Gweldin. 

- Très bien, passons donc à la requête suivante, dans ce cas. 

Gweldin fait un signe de tête au prince, accompagné d'un franc sourire, et avant de partir offre à ses monarques un simulacre de révérence ressemblant plus à une série de courbettes mal exécutés puis sort de la salle d'un pas guilleret.  

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 31, 2017 ⏰

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