Camilia rêvait. C'était son rêve préféré, celui auquel elle pensait très fort avant de s'endormir en espérant qu'il reviendrait, une fois encore, durant la nuit.
Elle courait dans les hautes herbes. Le pollen des fleurs flottait dans l'air comme une neige colorée. Elle pouvait presque sentir le parfum de la terre chaude. Au loin, près des nuages, un oiseau volait en cercle. Il descendait par intermittences, porté par les turbulences. C'était un faucon.
Camilia appelait. Mais sa voix, on ne l'entendait pas. Le nom qu'elle prononçait était celui de sa mère. Angelica, Angelica, mon ange, mon amour, où te caches-tu aujourd'hui ?
《 Tu es là, tout près, je ne te vois pas mais je sais... Ce n'est pas vrai que tu es morte, puisque tu es là, dans mon rêve. 》Camilia attrapa un papillon, ou plutôt le papillon attrapa Camilia. Les îles dorées brillaient dans la lumière.
Et si on prêtait l'oreille, on surprenait le tendre bruissement de leur battement. Et alors...
- Réveille-toi ! Oh ! réveille-toi ! Je t'en prie !
Camilia grogna et se retourna pour échapper à la pression de la main. Trop tard. Le rêve s'était enfui. Elle se redressa et se frotta les yeux.
- Laisse-moi tranquille...
- S'il te plaît, oh ! s'il te plaît...
Camilia ouvrit franchement les paupières, essayant de percer la nuit pour apercevoir le visage de Morgane.
- Tu ne vas pas me réveiller à chaque fois ? protesta-t-elle.
- Je ne peux plus me retenir, répondit Morgane d'un ton plaintif.
Camilia soupira et chercha son châle au pied de son lit.
- Bon, ben, dépêche-toi, maintenant !
Les deux filles se glissèrent dans l'allée. De chaque côté, il y avait cinq lits, tous occupés. Dix filles de onze à treize ans dormaient là.
Les toilettes étaient dans le couloir. Toutes les filles y allaient seules. Toutes, sauf Morgane.
- Tu m'attends, hein ? dit Morgane. Regarde bien s'il n'y a rien...
- Mais non, il n'y a rien ! Juste une idiote qui veut faire pipi et une autre idiote pour lui tenir la porte !
Camilia savait comme il est difficile de dormir quand on a envie d'aller aux toilettes. On ne pense plus qu'à ça. Et la dernière fois où Morgane avait essayé, elle avait fait pipi au lit. Depuis, les filles l'appelaient 《 la pisseuse 》. Morgane avait peur. Si peur que, à l'approche de la nuit, elle commençait à trembler.
- Puisque je suis là, dit Camilia, je vais y aller aussi.
Morgane s'appuya contre le mur, le regard tourné vers le coude du couloir, à l'amorce de l'escalier.
- Je les vois ! gémit-elle. Je les vois, elles sont là !
Camilia ressortit brusquement du cabinet et se planta au milieu du couloir pour inspecter.
- Tu t'es trompée. Il n'y a rien.
- Elles se cachent quand tu es là, répondit Morgane.
- Je crois surtout qu'elles se cachent dans ta tête !
- Je ne suis pas folle, murmura Morgane.
Elles retournèrent dans le dortoir. Camilia se coula dans son lit, heureuse d'y retrouver un peu de chaleur.***
Camilia et Catherine tenaient les deux cordes. Valentine s'essaya à nouveau à une figure acrobatique et se retrouva par terre, les pieds emmêlés. Elle éclata de rire.
- Bon ! Ce n'est pas mon jour ! Vas-y, Camilia !
Et à ce jeu-là, Camilia était imbattable. Elle ne s'arrêta que parce que Catherine fit une fausse manoeuvre et embrouilla les cordes.
- J'en ai marre, dit Valentine. Si on s'échangeait les nouvelles ?
《 S'échanger les nouvelles 》était une des principales activités de leur petit groupe. On parlait des autres. Des autres filles, des garçons dans le bâtiment d'à côté, des parents, des professeurs et de la directrice de la pension.
《 Ragots et compagnie 》, comme disait parfois Valentine.
- Il paraît que les dortoirs vont devenir mixtes, commença-t-elle.
- Tu plaisantes ? fit Catherine en ouvrant de grands yeux.
Valentine hurla de rire, comme cela lui arrivait vingt fois par jour.
- Ce que t'es cruche ma pauvre fille ! Ça serait marrant, non ? Qui veut de Jules-l'empoté dans son dortoir ?
Elles firent toutes les trois une monstrueuse grimace. Jules-l'empoté était leur bête noire. C'était un garçon de quatrième, moche, nul, et sale. Les dortoirs et les cours de récréation étaient séparés, mais garçons et filles se retrouvaient dans les salles de classe.
- Qui veut Armand dans son lit ? demanda Valentine.
Catherine pouffa et devint rouge écrevisse. Armand était le garçon le plus convoité de la pension.
- Pas moi, dit Camilia. Je le trouve prétentieux. Je préfère Gall.
- Gall ? répéta Valentine. Il est un peu bizarroïde.
- Il n'est pas comme les autres, dit Camilia.
- Moi, il n'y a qu'un seul homme dans ma vie ! s'écria Valentine. M. Sam, himself !
- Le prof d'anglais ! ricana Catherine.
Valentine sourit. Son regard bleu se perdit un instant entre les branches décharnées des marronniers.
![](https://img.wattpad.com/cover/98177322-288-k846961.jpg)
VOUS LISEZ
L'enfant des ombres (Moka).
FantasyMorgane est la seule à voir les ombres. Dès qu'elle est seule dans les couloirs du lycée, elles apparaissent sur les murs. Ces temps-ci, elles se font de plus en plus menaçantes. Un jour, le pire se produit. Pourtant, ce n'est que le commencement. L...