La rose est du matin

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En partant un peu plus tôt, elle aurait fini encore plus sur les nerfs. Elle avait quitté son appartement en trombe, tout à fait en colère contre son père, et puis contre elle aussi, contre sa vie, à laquelle elle s'était habituée et qui était à un tournant, elle le sentait - l'instinct féminin -, elle savait.

Elle avait claqué la porte, essuyé quelques larmes avec fougue et avait fini dans sa voiture. Elle avait failli mourir, ce jour-là. Une conductrice novice lui était passée sous le nez, et à la vitesse à laquelle elle roulait, elles auraient très bien pu finir embouties à cause d'une priorité à droite à laquelle ni l'une ni l'autre n'avait accordé d'importance puisqu'Alice s'était précipitée sur la voie principale sans se préoccuper des véhicules à sa gauche.

Elle était arrivée à bon port, elle avait pris une grande inspiration, s'était presque mise à courir dans les escaliers vers son bureau et elle avait retrouvé Lemonnier, qui mâchait un chewing-gum du bien être. Il lui en avait proposé un, elle avait grimacé en voyant la boîte, alors il s'était mis à rappliquer qu'ils avaient des vertus insoupçonnées - si si, il avait vu le spot à la télé et acheté le fascicule.

Alice s'était assise, avait pris sa tête entre ses mains ; la journée s'annonçait tellement mal, elle aurait dû rester alitée ce matin, ne pas répondre au téléphone, comme ça elle n'aurait pas risqué sa vie, et elle ne se serait pas faite insulter par un homme qui lui cherchait des noises depuis une affaire et contre qui elle ne voulait pas porter plainte parce qu'elle en savait trop de lui et de son passé atroce, ce passé qui avait formé une personnalité atroce.

Elle avait la tête dans les mains et elle sentait les larmes lui revenir ; tout ce qu'elle voulait c'était casser des verres, déchirer des feuilles et peut-être arracher tout ce que son père avait pu lui offrir. Il devenait insupportable avec ses théories sur la femme célibataire. Elle était en première ligne ; elle savait à quoi elle s'exposait en ne pensant qu'au boulot, elle savait qu'elle ne cherchait pas l'amour, qu'elle devrait attendre encore - jusqu'à quand ? -, elle avait un désir d'enfant, oui, mais elle était patiente, elle voulait lui offrir quelque chose de beau à cet enfant, et alors il lui fallait un papa génial qu'elle n'était pas prête de trouver, en tout cas pas au palais, avec les vieux misogynes qu'elle rencontrait chaque jour en nombre.

Alors voilà, elle avait comme une envie de tout quitter, en tant que femme qui voulait s'accomplir, elle voulait tout plaquer et dire à son père qu'elle n'irait pas à Dijon, non, jamais, non, parce qu'elle, c'était à Bali qu'elle irait, et là-bas qu'elle vivrait, oui, et qu'est-ce qu'elle serait heureuse...

Lemonnier avait remarqué à quel point elle était tourmentée et il avait tu ses nouvelles découvertes. Il lui avait pris le bras, elle s'était laissée faire, il fallait qu'elle se calme. Et ce collègue qui lui souriait ; comment pouvait-elle en avoir après lui ? Elle n'avait pas le droit de se laisser emporter par n'importe quoi et sur n'importe qui. Alice avait suivi les conseils de son greffier qui lui disait de sortir, aller dans la cour vous fera du bien, vous verrez. Elle n'avait pas compris ; la cour, c'était voitures et rencontres entre pairs qu'elle voulait plutôt éviter dans la mesure du possible.

Alice avait pourtant écouté Lemonnier, pourquoi, elle ne savait pas, et ce n'était pas pour s'aplatir puisqu'elle faisait généralement ce que son cœur lui dictait de faire. Elle s'était exécutée et avait compris. Le soleil était accroché dans un ciel intégralement bleu et tout à fait souriant. Elle avait fermé ses paupières une fois dehors et n'avait eu qu'une petite minute de répit pour reprendre sa respiration, parce qu'ensuite, une main avait tapoté son épaule et une voix malicieuse avait prononcé son prénom. C'était la présidente, sa seconde maman ! Alice s'était demandé ce qu'elle faisait ici, et puis elle le lui avait demandé de vive voix, et la brune teinte en blonde âgée d'une quarantaine d'années donc dix de plus qu'elle lui avait répondu qu'elle passait, et que pour une fois elle avait un peu de temps. Sylvie avait prévu de se dégourdir les jambes en marchant un peu à l'extérieur, mais elle l'avait vue du coin de l'œil et elle ne pouvait pas ignorer une telle juge qui plus était sa pseudo fille.

"Les amants de l'éternité"Où les histoires vivent. Découvrez maintenant