CHAPITRE DEUX

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ELIJAH

J'observe la scène depuis un bout de temps, adossé contre le mur donnant sur l'extérieur. Le déluge de paroles des deux nouvelles propriétaires de ma maison est assourdissant. Les mains croisées derrière la tête, je hausse un sourcil, de plus en plus agacé par leur spectacle. La châtain a parlé de mon portrait. J'aurais bien aimé entendre des adjectifs comme royal, ténébreux ou époustouflant pour ma description mais il est évident que ces deux jeunes femmes ne sont pas des connaisseuses en matière d'hommes.

— Non, j'aime bien cette chambre. Je vais la garder.

La plus petite des deux recule. Elle se tourne vers la porte et sans un mot, quitte la pièce. J'avance vers celle qui a décidé de voler ma chambre. Ses yeux bleus me dérangent, c'est comme si la luminosité de ces derniers menaçait de lire à travers moi, bien que son regard ne puisse pas capter véritablement le mien. Personne dans ma famille n'a eu les yeux clairs, peut-être est-ce pour cette raison que je suis un peu désorienté. Avec mes frères et sœurs, on se ressemblait tous. Les yeux sombres étaient une caractéristique des Monwerthy.

— Allez Nola, tu as du boulot, soupire-t-elle.

Je la regarde partir dans le couloir pour revenir quelques secondes après, les bras encombrés de cartons. La voyant se cogner le coude contre mon mur, je lève les yeux au ciel et après un soupir, me laisse glisser sur le sol. Les mains derrière la tête, je l'observe. C'est ce que je fais la plupart de mon temps avant d'éjecter les voleurs se prenant pour les nouveaux propriétaires de ma maison.

Elle a l'air jeune, un peu plus de la vingtaine je dirais. C'est étrange comment elle peut sembler empotée. C'est la première fois que je vois un énergumène de ce genre. C'est clair qu'elle n'aurait jamais pu vivre à une autre époque que la sienne... Elle quitte à nouveau la chambre pour ré-apparaître avec une table de nuit de mauvais goût. La voleuse cherche ensuite quelque chose dans un des cartons. Lorsque je comprends qu'il s'agit d'une photo, je me relève. La curiosité a toujours été un de mes plus vilains défauts.

Et voilà, lance-t-elle avant de reculer d'un pas et de se frotter les mains pour se les nettoyer d'une poussière inexistante.

La ressemblance avec la femme blonde sur la photo est frappante, elles ont d'ailleurs les mêmes yeux. La plus foncée est quant à elle, le portrait craché du père. La voleuse de chambre pose le cadre sur la table de nuit puis s'agenouille devant des planches. N'ayant rien d'autre à faire, je m'assieds contre le mur, ramène mes genoux contre moi et la regarde chercher désespéramment quelque chose. Elle se met à marmonner toute seule et je hausse un sourcil. Parmi les anciens faux propriétaires, il y avait trois femmes et elle étaient toutes d'un âge avancé, malgré cela, jamais aucune d'elles n'a radoté. Je pense qu'elle devrait sérieusement s'inquiéter de monologuer à son âge.

​Lorsqu'elle soupire, je redresse la tête. J'étais en train de tomber dans l'état du songe -ce qui se fait rare désormais- aussi bizarre soit-il. Les planches ont donné lieu à un lit. En regardant par la fenêtre, je remarque que la nuit est tombée. Jugeant qu'il est temps pour moi de battre en retraite, je ferme les yeux. Je m'apprête à quitter la chambre quand je réalise le ridicule de la situation. Je m'apprêtais à partir de ma propre chambre. Certes, je ne me repose plus ici depuis longtemps car j'ai aménagé dans le grenier, mais qui ne serait pas désemparé d'avoir ressenti un empressement de laisser sa chambre à un parfait inconnu, comme si nous étions le véritable invité et non pas le propriétaire ?

Une musique débute lorsqu'elle appuie sur quelque chose de fin posé sur un meuble. Cet objet attire mon attention. Ce n'est pas la première fois que j'en vois un, les anciens voleurs de maison en avaient eux aussi bien que l'esthétique était différent.

La Passeuse d'âmes (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant