Not for sale, part 2

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Orphelinat Home Of Godsends, Manille, Philippines, 1998.

Cette nuit là les bonnes sœurs avaient laissé les fenêtres du dortoir grandes ouvertes tant l'air était doux. Quand il s'engouffrait dans la pièce, les immenses rideaux pâles se soulevaient et dansaient avec légèreté tels des fantômes. La lune, haute dans le ciel, éclairait les lits des enfants endormis d'une lumière presque bleue. Le silence était total, mis à part la douce brise de la nuit qui agitait les feuilles des palmiers dans la cour de l'orphelinat. Une fillette vêtue d'un petit pyjama violet quitta son lit et bondit avec l'agilité d'un chat à travers le dortoir pour se glisser dans le lit d'une autre enfant. Cette dernière ouvrit les yeux et bailla à s'en détacher la mâchoire.

- Maddie, fit-elle. Retourne dans ton lit. Si les bonnes sœurs te voit elles nous puniront.

- Mais non, regarde ce que j'ai.

La fillette se redressa sur son oreiller et fit les gros yeux quand Maddie sortit de son pyjama une barre chocolatée.

- Tu l'as volée ? Tu devrais aller la reposer avant que ça ne se remarque !

- Je l'ai empruntée, Kristen. Tiens, on partage.

Maddie coupa la barre de chocolat en deux et en tendit un bout à Kristen. Soudain un grondement de moteur se fit entendre non loin de l'orphelinat. Les deux fillettes se précipitèrent jusqu'à la fenêtre. Deux pick-up pénétrèrent au pas dans la cour de l'orphelinat. Les lumières des phares aveuglèrent les petites filles qui s'accroupirent sous la fenêtre. Elles rejoignirent le lit de Kristen à quatre pattes. Les moteurs se coupèrent et les lumières s'éteignirent. Le silence redevint complet. Des voix masculines se firent entendre, mais si basses qu'elles étaient inaudibles pour les filles. À travers les rideaux blancs, elles virent des silhouettes imposantes. Elles se glissèrent sous le drap. Un bruit sourd, comme si quelqu'un venait d'enjamber la fenêtre et de se laisser tomber sur le sol du dortoir, des pas qui firent grincer le plancher, puis un autre bruit sourd et des pas grinçants. Les fillettes, enfouies sous le drap, se regardaient, la respiration coupée. Maddie, voyant l'angoisse de son amie, lui adressa un sourire rassurant et posa un doigt sur sa bouche pour lui faire signe de rester silencieuse. Kristen eut à peine le temps de lui rendre son sourire qu'elle fut soudainement tirée du lit avec violence. Maddie tenta de lui attraper le bras pour la retenir, mais une main puissante lui saisit les cheveux et la tira elle aussi du lit. Elle tenta de hurler et de se débattre mais l'homme qui la tenait fermement lui couvrit la bouche d'un mouchoir humide. En quelques secondes sa vision se troubla, ses muscles se détendirent, elle sentit tout son corps devenir étrangement faible. Autour d'elle d'autres silhouettes vêtues de noir saisissaient des enfants au choix dans leurs lits. Aucun d'eux n'eut le temps d'appeler à l'aide, leurs cris furent tous étouffer aussitôt comme le sien. Elle se sentit soulevée par la montagne humaine qui l'avait arrachée du lit. Ne touchant plus le sol, elle avait l'impression de voler. La brise de la nuit lui caressa le visage. Sa tête tournait et ses idées s'entremêlaient. L'homme l'allongea dans la benne du pick-up, à côté de Kristen et du garçon qui occupait le lit voisin. Elle sentit un frisson lui parcourir l'échine, sa vision se faisait de plus en plus trouble et ses paupières de plus en plus lourdes. La portière de la benne se referma et le pick-up démarra en trombes, suivit de l'autre. Maddie fixait le ciel étoilé, elle sentait son corps la quitter. Ses yeux se fermèrent lentement. Ce fut le noir complet.

Quand Maddie ouvrit les yeux elle eut une horrible envie de vomir. Sa tête la faisait atrocement souffrir, comme si une balle de golfe se baladait librement dans son crâne. Elle était allongée sur un matelas posé sur un sol crasseux dans une pièce insalubre. Une petite fenêtre carrée et barricadée de planches de bois laissait passer les rayons du soleil. Maddie poussa sur ses petits bras pour se redresser, son corps était si faible qu'elle faillit chanceler et se taper la tête contre le mur. Des voix, des bruits de moteur et des cloches laissaient penser que la fenêtre donnait sur une rue marchande. Les draps étaient humides, Maddie comprit qu'elle transpirait beaucoup quand elle passa une main sur son front et dans son dos. La chaleur étouffante de la pièce et l'agitation de la rue témoignaient de l'heure tardive de la matinée. Maddie avait du mal à se souvenir de la veille, mais elle savait qu'elle ne se trouvait pas à l'orphelinat. Elle tenta de mettre un pied hors du lit, mais elle réalisa qu'elle ne sentait plus ses jambes. Elle souleva le drap, elles étaient toujours là, mais inertes. Prise de panique, sa respiration s'accéléra. Elle balaya la pièce du regard, elle était totalement vide. Seul le matelas sur lequel elle était allongée constituait le mobilier. Une clé tourna dans la serrure et la porte en bois grinça. Une femme blonde comme Maddie n'en avait jamais vu aux Philippines pénétra dans la pièce, un immense sourire sur le visage. Maddie la trouva immédiatement rassurante. Elle tenait entre ses mains un verre d'eau et un bol de riz. Elle referma la porte derrière elle à l'aide de sa hanche et s'approcha de Maddie, elle s'assit près d'elle.

- Où est-ce que je suis ? Fit Maddie, la gorge nouée.

- Toujours à Manille, répondit la femme en Philippin, mais tout de même marqué d'un fort accent américain. Je t'ai apporté de l'eau et à manger.

Maddie tendit le bras et saisit le verre d'eau. Elle but son contenu d'un trait.

Une fois réhydratée, l'angoisse qui n'avait pas disparu se manifesta à nouveau.

- Mes jambes...

- Ne t'en fais pas, elles vont très bien. Elles ont été anesthésiées pour ne pas que tu t'en ailles.

- Mais pourquoi ?

La femme adressa un regard plein de tendresse à Maddie, puis caressa sa joue.

- Ma chérie, moins tu poseras de questions, plus ce sera facile.

- Et l'orphelinat ?

- Oublie l'orphelinat, il ne te garantira aucun avenir. Ce n'est qu'un lieu de débauche, où l'on vous donne l'espoir d'être adoptés un jour par une petite famille européenne. Ceci n'arrive jamais, vous êtes jetés à la rue dès que vous atteignez l'âge de vous débrouiller, si ce n'est pas plus tôt. Avec nous tu auras un avenir, tu seras une petite fille heureuse.

- Où est Kristen ? Pourquoi je suis ici ?

- Qu'est-ce que j'ai dis par rapport aux questions ? Tiens, mange. Je t'apporterai un autre verre d'eau.

- Jusqu'à quand je dois rester ici ?

- Pas très longtemps, ne t'en fais pas, juste le temps des procédures. Quelqu'un viendra prendre quelques photos de toi dans les jours à venir. Je t'apporterai de quoi t'occuper, en attendant dors le plus possible, ça te permettra de tuer l'ennui, puis tu as besoin de repos et d'énergie pour la suite.

Maddie eut une nausée cinglante. Elle avait beaucoup trop de questions sans réponses, mais ses idées étaient encore floues. La femme déposa le bol de riz sur le sol près du matelas et caressa à nouveau sa joue, toujours le même sourire rassurant, presque niais, affiché sur le visage.

- Et pour ce qui est de tes jambes, elles retrouveront leurs sensations dans l'après-midi.

Elle se releva et quitta la pièce. Maddie se retrouva à nouveau seule. Elle posa son regard sur le bol de riz qui traînait sur le sol poussiéreux. Une nausée la frappa encore une fois et l'angoisse la regagna. Elle se glissa sous le drap, se recroquevilla contre ses jambes inertes et ferma les yeux. Pour ne plus penser à rien, elle devait dormir. À cet instant elle sut qu'elle avait fait le premier pas en enfer. 

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 17, 2017 ⏰

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