Décembre tristesse - partie 1

6K 510 152
                                    

Décembre tristesse – 1

- Nell -

— Nell ! Quelqu'un pour toi !

Je lance un coup d'œil à ma supérieure en fronçant les sourcils. Elle agite un téléphone au-dessus de sa tête tout en affichant une mine qui signifie : « Ne me demande pas de qui il s'agit, je n'en sais rien, je n'ai pas demandé et honnêtement, j'en ai rien à foutre ». En une simple moue, Gloria Blackwood est capable de faire passer des émotions si évidentes, que c'en est parfois effrayant. Plutôt docile, je ne cherche pas davantage d'informations et traverse la cour de récréation pour rejoindre le bureau de la directrice, laissant mon collègue se débrouiller seul avec les bobos, les nez qui coulent et les histoires de billes.

— J'te remplace, souffle Gloria, compatissante, tout en quittant son bureau.

J'attrape le combiné et tente d'emprunter ma voix la plus professionnelle.

— Nell Grace, j'écoute.

Avec la chance que j'ai ces derniers temps, c'est sans doute l'inspecteur qui va m'annoncer sa visite dans les prochains jours.

— Putain, Nell, je t'ai appelée quatre fois sur ton portable.

La voix masculine qui résonne à mes oreilles me laisse pantoise. En temps normal, j'aurais riposté, entamé un débat cinglant. Je lui aurais dit d'aller se faire voir, lui et ses remarques à la noix. J'aurais sans doute avancé des arguments tout à fait crédibles du genre : « Je suis à l'école avec trente gamins de trois ans qui me bavent dessus et me disent trente fois en deux minutes à quel point j'ai de belles chaussures aujourd'hui. Donc tu comprends, je ne pense pas avoir le temps de regarder mon portable, désolée ».

Mais ce n'est pas un « temps normal ».

Si Sully m'appelle sur mon lieu de travail, plus rien n'est normal.

— Je..., commencé-je, la voix soudain beaucoup moins assurée. Ne me dis pas que...

Une terrible angoisse m'envahit. Maladroitement, j'attrape une chaise qui traîne pour m'y asseoir. Ce qu'il s'apprête à m'annoncer, je ne suis pas certaine d'être capable de l'entendre.

— Je t'ai appelée quatre fois. En dix minutes, se lamente-t-il.

Même si plusieurs kilomètres nous séparent, je peux imaginer sa tête de là. Comme souvent, ses grands yeux marron doivent rouler vers le ciel avec cette moue condescendante que je déteste tant. Peut-être même qu'il passe ses doigts dans ses cheveux bruns faussement décoiffés avec un air désabusé.

— C'est fini, Nell, finit-il par ajouter, d'un ton fébrile. Rejoins-nous dès que tu peux.

Un bip insupportable pénètre dans mes tympans. Les larmes aux yeux, je laisse glisser le téléphone sur le bureau. Mes mains enveloppent mon visage et soudain, l'émotion refoulée s'empare de moi. Je savais très bien que ce coup de fil arriverait un jour ou l'autre. Je m'y étais préparée à de nombreuses reprises. Malheureusement, aucun entraînement ne pourrait m'aider à supporter la triste réalité. Et lorsque la sonnerie de fin de récréation résonne dans tous les bâtiments de l'école, je sursaute. Je ne me sens pas capable de me lever. Mes jambes sont lourdes et mon cœur bat furieusement contre mes tempes.

Pourtant, je dois me bouger de là.

Gloria penche la tête sur le côté quand elle remarque mon visage rougi et bouffi par mes pleurs. Je n'ai pas besoin de m'expliquer, elle comprend immédiatement. Avec maladresse, ma directrice tapote dans mon dos, même si elle a sans doute conscience que rien n'apaisera mon désarroi. Je ravale un sanglot dans une vaine tentative de conserver un minimum de dignité sur mon lieu de travail.

START AGAIN (sous contrat d'édition - Plumes du web)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant