Sur le sol rouge, tous les jours se ressemblent, tous aussi chauds, humides et poussiéreux comme dans un vieux four usé de boulangerie. C'était une journée de Palmery de l'an 2200. Palmery était la nomination qu'on avait attribuée au mois se trouvant chronologiquement entre avril et mai, comme les mois sur Mars faisaient le double de ce qu'il était le cas sur terre, l'humanité a décidé d'ajouter aux douze mois grégoriens existants, douze autres mois martiens.
La journée était brûlante et son ciel, particulièrement terni par un vent chaud et poussiéreux. Le monde ce jour-là, sous n'importe quel angle qu'on eût à admirer semblait embellit par une certaine tristesse, une sorte de vide monumental dans l'ensemble.
Monsieur Deckerson, agité par l'anxiété, enfouit sa main dans la poche intérieure de son manteau, en retira un carré de tissu et s'en servi pour essuyer le flot de sueur s'étant accumulé sur son large front puis plissa des yeux avant de s'arrêter au bord d'un trottoir, où la senteur ambiante de gaz de pots d'échappements assailli ses narines et le contraint à tousser violemment.
En fait, la ville entière en dehors des parcs municipaux sentait le renfermé, l'oxygène était présent à faible dose dans l'air ce qui expliquait pourquoi Deckerson avait du mal à respirer, c'était comme si il venait de courir un marathon dangereux, sous les longs immeubles de forme pyramidale qui s'entassaient les uns sur les autres, s'élevaient sinueusement à travers le voile de poussière recouvrant le ciel qui composaient l'architecture cyclopéenne de la ville.
Il se demanda pourquoi cette légère course l'avait autant essoufflé alors qu'il n'avait que vingt-neuf ans, cette sensation, le prenait toujours après un effort physique et il ne savait toujours pas s'en accommoder malgré le temps qui passait. D'un seul geste, il guetta l'instant de reprendre son souffle, l'heure sur le cadran tactile de sa montre digitale qui indiqua en clignotant. « vingt heures trente, heure terrestre, douze heures trente, heure martienne.»
Il ne devait surtout pas se retrouver malencontreusement en retard à son travail qu'il entamait à treize heures et quart. D'habitude, il ne se serait jamais permis une telle escapade dans les rues grouillantes de Néogrénat pile à l'heure du déjeuner tandis qu'il avait son travail à treize heure. Mais ce jour-là était diffèrent. Deckerson amorça péniblement un mouvement pour se frayer un chemin autour des vagues de piétons qui le submergeaient et regretta de ne pas s'être offert un Cyber Bolide (voiture volante à la vitesse remarquable.) avec toutes ses économies, abord d'un tel véhicule, il aurait pu conclure ses affaires vite et sans se précipiter ainsi dans les rues, mais cette pensée s'évapora aussitôt quand infiltrée dans la foule grouillante et bourdonnante une main délicate vint l'agripper par l'épaule l'amenant à recouvrir ses esprits.
Il s'éveilla d'un coup au son des pas martelant le sol et des vendeurs ambulants criant leurs slogans à tût tête, puis ce fut comme si quelqu'un l'avait frappé d'un coup de marteau au crâne, la poigne qui l'agrippa suscita en lui un sentiment vif et raviva en lui son seul véritable désir, qui était loin d'être celui de posséder un Cyber bolide ou de ne pas arriver en retard mais celui de ne jamais avoir à perdre cette main qui l'étreignait à ce moment même, le rassurait et l'aimait tant.
« Quelque chose ne va pas mon lapin ? » Demanda Mme Deckerson déconcertée, ses cheveux blonds à la nuance platine bouclés par le vent mauvais lui octroyaient un look sorti de nulle part au parfait contraste avec le tailleur beige qu'elle portait, trop ordinaire.
L'homme s'égosilla, ses yeux d'un brun clair manifestaient un déplaisir que seul le faux sourire qu'il exhiba, se voulant rassurant, réussi à masquer. Il se pencha vers l'agrégat de couvertures roses que sa femme portait fermement sous ses bras et d'un geste fugitif, il rejeta un bout du tissu, dévoilant la tête d'un bébé dont le visage se crispa à la lumière du jour.