CHAPITRE 6

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OPHÉLIE


— Tu peux me tenir ça ?

Aline, en galère avec sa veste de costume, me demande de la pincer par le col pour la tenir de manière verticale. Elle a chaussé ses lunettes sur le bout de son nez et se mord la langue, comme à chaque fois qu'elle en appelle à sa concentration extrême.

— Je te jure que ces sequins me rendent folle !

— Pense à la fierté que tu ressentiras quand tu auras achevé la pièce, murmuré-je.

— Tout ça pour n'en tirer aucun mérite...

— Après, on est seulement couturières, rappelé-je. C'est normal que les honneurs reviennent à la créa.

Aline soupire.

— Je sais. C'est juste que... j'aurais aimé participer à la Fashion Week, rien que pour le plaisir de voir une pièce que j'ai réalisée sur un mannequin. Imaginer ce que tous les gens assis autour de moi pensent du vêtement, tout en sachant que ce sont mes petites mains qui lui ont donné vie.

Mon cœur s'emballe.

— J'en rêve aussi, admets-je. Tellement...

— Malheureusement pour nous, cette connasse de Charlène aura ce privilège. Je doute que Nathalie choisisse l'une de nous trois. Dommage, la vie m'a rendue franche et entière. Si seulement j'arrivais à être faux-cul, moi aussi, peut-être que j'aurais gravi les échelons.

— Peut-être aussi que quelqu'un (je me désigne du pouce) aurait marché sur tes lunettes par inadvertance...

Aline se fend d'un sourire espiègle.

— T'es con !

— À ton service. D'ailleurs, quand est-ce qu'on met le plan à exécution ?

— Après le briefing de Nathalie. Je suis sûr qu'elle va nous annoncer un nouveau privilège pour miss-langue-marron. Ça achèvera d'éloigner ma culpabilité.

— Tu culpabilises déjà alors qu'on n'a rien fait ?

Aline hausse les épaules, ses mèches blondes dansant sur ses épaules.

— Trop entière, je t'ai dit. C'est chiant, hein ?

— Dans ce cas précis, un peu. Mais au fond, on est mieux comme ça. Tu t'imagines agir comme Charlène tous les jours ?

— Phobie ! Je ne supporterai pas mon reflet.

— Comment tu crois qu'elle fait ?

— Elle n'a pas de miroir chez elle. Sinon elle ne porterait pas un carré aussi rigide. On dirait un casque de Playmobil.

Un fou rire me secoue.

— Arrête de glousser ! Tu fais trembler la veste et j'arrive pas à planter mon aiguille ! se marre Aline.

— C'est ta faute, aussi ! Et puis, te décourage pas, d'accord ? Tant que Nathalie n'a rien annoncé, tu pourrais très bien avoir la place pour le défilé.

— Aucune chance. Je suis à la bourre dans mon travail. Quand elle a fait une ronde rapide ce matin, elle n'a rien dit mais je l'ai sentie se tendre en passant près de moi. Si ça doit tomber sur l'une de nous, je pense que Lisa aura la place.

— Moi aussi, admets-je en me tournant vers l'intéressée. Et on sera fières de toi !

Elle nous adresse une moue embarrassée.

— J'aurais tellement aimé qu'on y participe toutes les trois, nous dit-elle.

— T'inquiète ! On se fera un apéro champagne à ton retour et tu nous raconteras tout dans les moindres détails.

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