Pourquoi elle ? Elle n'a rien fait de mal, et elle souffre. Pourtant, il y a tellement de connards sur cette planète. Pourquoi pas l'un d'eux ? Il fallait que ce soit elle. Elle est allongée sur ce lit, sa poitrine se soulevant et se rabaissant doucement. Ses paupières closes me laissent imaginer ses yeux bleus. Je regarde son crane nu. Ses longs cheveux bruns absents. J'aimerais tellement enrouler une de ses mèches autour de mon index. Ils étaient beaux, brillants et doux. Mais cette saloperie les a pris avec elle. Je me demande vraiment le but des cancers. Emmerder tout le monde ? Tuer ? Ou peut-être que le Cancer veut juste s'amuser avec le sourire des gens ? Le faire disparaître, petit à petit, puis faire disparaître la vie dans le corps de la victime. Ou peut-être bien que le Cancer est un enfant de la Mort ? Et que la Mort lui apprenait à tuer le plus douloureusement possible. Faire mal à un maximum de personnes.
La mort est une triste fatalité complexe, indéfinissable et d'une putain de ténacité.
La vie l'est tout autant, voire plus.
C'est à ce moment précis que je réalise ma connerie infinie. Je m'imaginais vieux, les cheveux grisonnants, assis dans un grand jardin en tenant la main de Rose. Je m'imaginais heureux, en bonne santé, et grand-père. Je m'imaginais des repas en famille le dimanche autour de plusieurs plats. Je m'imaginais une putain de connerie. Je me dégoute. Je me dégoute d'avoir imaginé, même une seconde, avoir cette vie mielleuse et calme.
Et toi, t'es là. Allongée, comme si tu allais te réveiller et râler parce que j'ai laissé mes chaussettes traîner au sol. Comme si t'allais me répéter, encore une fois, que la vie est cruelle en fonction de la manière dont on la traite. Comme si t'allais te lever et commencer à dessiner et à peindre quelque chose « qui représente ce que l'Homme était et est. » Quelque chose que tu dis être une poésie mais invisible pour un œil insensible.
Et moi, je soufflerais en ramassant mes chaussettes. Je roulerais des yeux à ta phrase un peu trop philosophique à mon goût. Je regarderais curieusement mais discrètement ta main tracer cette poésie.
Mais toutes ces choses sont désormais finies et vont faire partie du passé.
Quand ce foutu médecin a dit qu'il n'y avait plus rien à faire, que tu souffrais, que tu étais en vie grâce à des machines, tout s'est arrêté. C'est comme si, chaque chose que j'ai vécu devenaient insignifiantes. Comme si la voix du médecin était lointaine et que la seule et unique chose que j'entendais était ton rire qui faisait écho dans ma tête. Comme si toutes les merdes que nous avions vécus étaient devenues inutiles, pourtant elles sont là et me grondent en me disant que j'ai été bien con d'avoir créé des disputes inutiles. Et elles ont raison. Je ne voulais juste pas mettre ma fierté de côté et m'excuser, alors tu t'excusais, pourtant tu étais la victime et non le coupable. Tu imagines quelqu'un avec un poignard dans le ventre s'excuser auprès de son agresseur ?
Je pris doucement ta main froide dans la mienne et la serra une dernière fois, je déposais un baiser sur ton front avant de sortir de la chambre d'hôpital, les larmes aux yeux, et de faire un signe de tête au médecin. Il me donna un sourire triste et compatissant avant de disparaître dans la chambre de la femme de ma vie.
Je suis désolé, Rose. Pardonne-moi.
Je ne sais pas où je vais, mais je cours. Je cours tellement que mes jambes commencent à me brûler. Mais je m'en fou. Je t'ai perdu. C'est fini. Ce n'est pas possible. Je ne peux pas endurer ça. Mon cœur bat tellement fort dans ma cage thoracique, me rappelant que le tien ne bat plus. Pourquoi ? Tu méritais d'avoir une vie longue et belle. Tu ne mérites pas ça. J'aurais préféré à ta place que de vivre le reste de ma vie pendant que tu deviens un tas d'os. Oui, j'aurais préféré mourir pour que tu vives pour éviter de souffrir. Parce que je suis un égoïste. Je le suis depuis toujours et j'ai jamais vraiment changé. Je ne sais même pas pourquoi tu m'as aimé. Tu m'aimais. Mais maintenant que t'es plus là, qui m'aime ? Ma mère et ma sœur m'aiment. Mais qui d'autre ? Personne. Parce que je ne suis pas un type bien. Loin de là. Je suis un connard. Et nous, les connards, nous sommes des égoïstes. Je suis un putain d'égoïste. Oui, je préfère mourir, là, maintenant, que de passer le reste de ma vie à me lamenter et à m'insulter. Parce que je suis comme ça et que rien ne m'a changé et rien ne le fera. Et oui, je suis tellement égoïste que je préfère me donner la mort que de devoir aller au cimetière pour déposer un bouquet sur ta tombe tous les dimanches.
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Turn Back Time
FanfictionLe temps, est une notion floue. Il ne peut être mesuré. Les années, les mois, les heures, sont des inventions futiles des humains. Car, c'est rassurant d'avoir des repères, des limites, de dormir dans un lit bordé. La chronologie n'est elle aussi q...