Promesse

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   La musique matinale raisonnait dans toute la pièce, j'ouvris les yeux et me levais lentement. Je jetais un oeil à la paillasse voisine, Lin-Yao s'était terrée sous sa couverture. Elle ne semblait pas aimer cette mélodie, ou plutôt les paroles de cette chanson. Je comprenais tout à fait, cette musique était chantée par une petite fille s'adressant à sa mère et lui répétant "Je t'aime" sous toutes les formes possibles. À vrai dire, j'ai moi même mis du temps avant de me convaincre qu'il s'agissait d'une belle chanson.
Il fallait commencer à initier Lin-Yao à la routine de chez nous, les journées débutaient et finissaient toujours par un grand nettoyage.

-C'est l'heure du bain ! Lui chuchotais-je.

   La montagne formée par la couette s'aplatie comme si un sentiment de désespoir s'était emparé d'elle. Sans doute n'appréciait-elle pas se laver. Je quittais la pièce pour rejoindre la salle de bain, Ling m'attendait avec du savon à la pivoine et des huiles essentielles. Je plongeais un pied, puis un deuxième et m'asseyais dans l'eau tiède. Le savon faisait beaucoup de bulles, mais elles étaient toutes collées les unes contre les autres et ne pouvaient pas bouger, la "baignoire" était bien trop étroite pour cela. Après m'être séchée, Ling m'aspergea d'huiles essentielles. Elle disait sans cesse qu'elles protégeaient des mauvais esprits, mais je n'y croyais pas trop. Elles avaient surtout le pouvoir d'attirer les moustiques.
J'attendais maintenant patiemment sur un banc que les autres soient prêts, accompagnée de lait à l'orange en guise de déjeuner.

   Soudain, le bruit d'un objet métallique tombant retentit dans le bâtiment et des cris se firent entendre, c'était Lin-Yao. J'accourus alors jusqu'à la pièce en question, abandonnant ma bouteille, preuve que Lin-Yao était devenue très importante pour moi. Lorsque j'ouvris la pièce, Lin-Yao en sortit à toute vitesse et en pleurs. Je la suivis jusqu'à la petite rivière de bambou cachée derrière l'orphelinat et m'asseyais à ses côtés.

-Tu vas bien ? Lui demandais-je bêtement, comme si je m'attendais à une réponse positive.

Elle fixa le sol, puis l'eau. Elle semblait complètement déstabilisée et perdue.

-Cet endroit est trop bizarre,  rien n'est pareil ! Les baignoires sont vraiment inconfortables, le savon sent mauvais et les lits sont tout durs ! Je veux rentrer chez moi... Murmura-t-elle au bord des larmes.

   À cet instant je compris exactement ce qu'elle ressentait. Ou plutôt je pouvais l'imaginer, car contrairement à elle je n'avais pas eu la chance de connaître mes parents biologiques. J'ignorais pourquoi elle s'était retrouvée parmi nous alors qu'elle n'était pas une enfant rejetée, mais je me doutais bien que ce changement soudain la chamboulait. Ses habitudes devaient être complètement différentes des notres et ses goûts étaient bien trop sophistiqués pour un lieu comme celui-ci.
Ne sachant que faire, je pris sa main entre les miennes comme pour lui dire qu'elle n'est pas complètement seule. Puis elle me sourit, je suppose qu'elle avait compris.
Je lui demandais alors maladroitement à quoi ressemblait son quotidien.

-Qu'est-ce qui est si différent de ta précédente maison Lin-Yao ?

-Puisque tu es gentille avec moi je veux bien te parler de maman. 

Elle prit une grande inspiration. 

-Ma maman, c'est une grande femme très jolie, mon papa, il est tout barbu, et ma grande soeur, elle est fine comme un roseau mais gracieuse comme un cygne, je les aime beaucoup.

Une soeur ? Impossible ! Cette histoire d'enfant unique pour dompter la démographie n'était-elle rien qu'un mensonge bien écrit ? Je n'en croyais pas mes oreilles.

-Une soeur tu dis ?

-Oui, elle s'appelle Li-Mei, elle a 17 ans. Mais je n'ai pas le droit d'exister en même temps qu'elle, alors je me déguise en garçon et j'aide papa et maman pendant qu'elle va à l'école.

-Quel stratagème ! Je ne suis jamais allée à l'école, tu as déjà voulu y aller ?

-Bien sûr, mais c'est une chance que seuls les plus grands ont.

-Et personne ne vous a jamais dénoncé ?

-On habite dans une grande ferme éloignée du reste de la ville, du coup personne ne vient nous voir. Mais un jour un drôle de monsieur est venu, et il m'a regardé comme si j'étais un vulgaire caillou.

Tout s'expliquait, Lin-Yao était une enfant illégale, mais pas indésirée. J'ai entendu dire que dans les campagnes, les familles avaient le droit d'enfanter un deuxième enfant si le premier était une fille, dans l'objectif d'obtenir un garçon la seconde fois. J'oservais la coupe au bol de mon amie, et ça me rendait triste. Sa robe rouge pivoine, sans doute ne l'a-t-elle portée qu'une fois dans sa vie.

-Un jour on sortira d'ici, et tu pourras revoir ta famille. Essayais-je de la rassurer alors que je n'y croyais pas moi même.

   Cela faisait déjà 10 ans que je vivais dans cet orphelinat, je ne comprenais pas moi-même pourquoi j'étais encore là. C'était toujours les plus jeunes qui partaient les premiers, mais pourquoi cela ? Au fond j'avais fini par trouver ça plus injuste que normal. J'aimais ma famille, mais ma famille m'aimait-elle vraiment tellement qu'elle ne voulait pas se séparer de moi ? C'est ce que je préférais croire, mais croire ce n'est pas penser. Ça m'échappait, tous ces secrets me dépassaient.

En voyant mon regard soucieux, Lin-Yao prit cette fois-ci ma main dans les siennes.

-Lorsqu'on sortira d'ici je te montrerai mon monde, en attendant montres moi le tien Li-Na !

Je hochais la tête et lui tendit mon petit doigt, elle me tendit le sien à son tour. C'était une promesse.

DestinyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant