Destiny

Sortie

   Le soleil venait tout juste de se lever, et pourtant je ne dormais toujours pas depuis hier soir. Tout simplement parce que je ne voulais pas prendre le risque de me réveiller, j'avais l'impression d'etre dans un rêve, et je ne voulais pas en sortir.

   Ce matin le portail était ouvert. Une sortie toute tracée se pointait à moi. Mais la règle la plus importante de notre foyer c'est de ne jamais franchir les portes de l'orphelinat sans autorisation. Mais allais-je vraiment laisser passer une occasion si parfaite ? Après tout les règles sont faites pour être franchies. 

   Je me dirigeais silencieusement vers la sortie de l'orphelinat. C'était étrange, je n'avais posé qu'un seul pied au delà de la porte que je sentais déjà l'adrénaline me parcourir le corps, je me sentais déjà plus libre. Je décidais de m'asseoir sur les marches de la maison d'en face et commença à scruter le ciel. Il était d'un grand bleu azur, dégagé, et surtout immense. Le monde est-il si grand ? Est-ce le monde dont venait Lin-Yao ? Pour moi il n'y avait que cette petite ville du Sud-Est qu'est Yun-Meng qui existait. Le ciel représentait irrévocablement une limite infranchissable pour moi. On sortait bien parfois. Chaque semaine nous prenions des photos pour des annonces d'adoption, alors on se rendait parfois au bord de la rivière, mais jamais nous n'avons mis les pieds ailleurs. 

   Un vieil homme courbé s'approcha de moi et me tendit un journal, or je n'avais pas d'argent pour l'acheter. Je lui fis comprendre, alors il me l'offrit aimablement, je m'inclinais en guise de remerciement. J'étais extrêmement curieuse de découvrir son contenu. Le bruit du papier entre mes doigts était une musique qui me plaisait, je feuilletais les pages hâtivement pour en décupler le son et en déchira légèrement une. Je pris alors le temps de la lire attentivement. Je ne comprenais pas tout ce qu'il était écrit mais je m'arrêtais sur un article au nom parlant : "Enfant unique, la solution du problème démographique !". Un petit garçon souriant illustrait la page. Je lisais ligne après ligne et crispais de plus en plus mes doigts. Sans que je m'en rende compte, des larmes coulaient sur mes joues et innondaient déjà le journal. Que se serait-il passé si j'étais née fille unique ? Si j'avais été homme ? Plus je grandissais, plus j'en découvrais, plus je prenais conscience de la situation, plus je devenais malheureuse.

À l'intérieur il commençait à y avoir du rafuge suite à ma disparition. Nuo sortit et m'aperçu, elle prit ma main fermement et me tira jusqu'au hall. 

-Qu'est-ce que tu pensais faire ? Si les portes sont ouvertes ce n'est pas pour te promener !

-Est-ce vraiment si grave que je sorte et me pose juste en face à quelques mètres ?

Nuo s'arrêta brusquement et me dévisagea d'un regard pénétrant, tout en gardant le silence bien évidemment. Je n'en pouvais plus, c'était toujours du silence ou des mensonges, et quitte à choisir, je préférais encore qu'on me mente.

Je n'étais pas d'humeur à écouter les nouvelles de la réunion du jour, sans doute était-ce pour annoncer une nouvelle séance photo. Lin-Yao s'approcha de moi et mit sa main sur mon épaule.

-La prochaine fois on s'enfuira ensemble, tu verras dehors c'est super ! Me murmura-t-elle à l'oreille.

La nourrice nous jeta un regard insistant, elle avait remarqué que nous n'écoutions pas un seul mot.

-Donc comme je disais aujourd'hui nous allons prendre des photos pour vos albums personnels. La destination du jour sera la rivière du Sichuan. Répéta-t-elle.

   Tous les enfants sautèrent de joie et crièrent, sauf moi et Lin-Yao. Je me sentais comme un objet dont on fait la publicité. Pourquoi devait-on faire cela ? J'avais tellement envie de découvrir ce vaste monde, ne plus être enfermée derrière ces quatres murs, mais on avait beau sortir, je ne me sentais pas plus libre. J'étais sérieusement partagée entre deux volontés, m'enfuir, ou ne jamais quitter ma famille. Après tout, le monde extérieur m'avait bien abandonné, alors pourquoi voudrait-il de moi seulement 10 années après ? Quand j'y repense, je suis l'une des seules à avoir dépassé l'âge de 8 ans tout en restant ici. Je ne savais plus ce que je souhaitais, jusqu'à présent j'étais heureuse. À quel moment suis-je devenue si envieuse ? Sûrement lorsque j'ai découvert que l'étendue de mon univers est proportionnelle à la taille d'une fourmi dans un champ de riz.

   Lin-Yao m'aida à me lever et me tira jusqu'à la salle de bain, l'endroit où les enfants étaient métamorphosés. Ling coiffa soigneusement mes cheveux et y ajouta quelques fleurs, puis elle me glissa dans une robe jaune soleil, en revanche je n'avais pas de chaussures. Cela signifiait qu'aujourd'hui mes pieds ne seraient pas dans le cadre. Quant à Lin-Yao elle était vêtue d'une salopette et de sandales. On devait être belles, souriantes, et en bonne santé. Je regardais avec compassion une pauvre fille enrhumée se faire saupoudrer de poudre blanche.

   Dans le bus, les enfants chantaient en coeur des chansons traditionnelles, j'en faisais partie. Lorsqu'il nous déposa devant cette grande étendue d'eau de 700km, celui-ci failli craquer sous la pression des enfants excités. Sans perdre une minute, nous nous rangions les unes derrière les autres, le photographe nous appelait à la chaîne. Lorsque ce fût le tour de Lin-Yao son regard s'assombrit. L'une des nourrices lui tendit une peluche, mais plutôt que de faire semblant de s'amuser avec, elle s'en servi pour essuyer ses larmes. Je la tirais alors hors du champ de la caméra et pris sa place. Je pris de la terre dans mes mains et m'accroupis dans l'herbe pour cacher mes pieds nus. Le photographe ne savait que faire d'autre que cliquer sur l'orburateur, alors il le fit. Je partis ensuite rejoindre Lin-Yao. 

J'étais inquiète, sa famille l'aimait, l'attendait, mais elle devait d'ores et déjà être affichée comme orpheline. Alors je la pris dans les bras et la serra de toute ma poigne d'enfant.