Ou l'apologie des fleurs du mal...
C'était une chaussette. Une simple chaussette comme il en existe des milliards, rose avec des étoiles blanches. Sa plante était brune et abîmée malgré les nombreux lavages, avec certains fils qui s'effilochaient et deux petits trous dans le talon.
C'était une chaussette voyageuse. Elle était née en Chine, dans une grande usine textile, puis avait été emballée en Russie, pour le coût du plastique, ou une autre connerie dans le genre, avant d'être acheminée au Portugal par bateau avec ses consœurs. C'était dans le conteneur qu'elle avait fait la connaissance de sa jumelle. Elles s'étaient courtoisement présentées, parlant de tout et de rien, de l'inconfort du trajet et de la promiscuité avec les 40-43 blanc écrémé dégueulasse destinées à être portées dans des sandalettes qu'elle trouvaient particulièrement machos et des plus beaufs. Et puis elles étaient arrivées sur les plages du Portugal. On les avait chargées dans un camion qui avait roulé jusqu'à Lisbonne, où elles avaient été exposées près des caisses, dans une boutique de prêt-à-porter à bas prix.
Une petite fille les avait aperçues, elle et sa soeur, et avait tiré la manche de son père pour qu'il les achète. Celui-ci, de bonne grâce, avait accepté et ils étaient partis après avoir payé leurs achats, main dans la main, au 17e étage de leur tour, là où les cloisons sont si fines qu'une délicieuse odeur de désert chaud se répand dans l'appartement chaque fois que la voisine prépare des sablés à la cannelle.
C'était une belle chaussette, ma foi, puisque l'enfant la portait très souvent. Mais un accident est si vite survenu...
C'était une belle chaussette qui a fini sa vie en même temps que la petite fille qui la portait, écrasée par peut-être le même camion qui la lui avait apportée, alors qu'elle jouait à chat sur la route.
C'était une belle chaussette ; mais qui voudrait d'une chaussette tachée de sang?
C'était une chaussette, posée là, comme une orchidée parmi les mauvaises herbes, dans la benne puante de mon immeuble.
C'était une belle chaussette, mais je referme sur elle le couvercle aussi facilement que la vie a tourné la page sur ma fille.Une..
belle...
chaussette...Lucia, mon coeur, je pleure... pour une chaussette...
pour ta chaussette...
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Pensées solitaires
RandomUn jour, un ressenti, une citation, une phrase, un texte, quelques mots pour exprimer la vie, la mienne, celle des autres et les choses de la vie.