J'ai jamais autant vécu. En deux mois, on a découvert tous les bars des environs, visité tous les musées, hurlé à s'en briser la voix à tous les concerts. Tous sans exception, même ceux dans les bars minables aux lumières jaunâtres et aux même clients pathétiques, juste pour le plaisir d'être avec elle et de la voir sourire après ces heures de torture. Son sac à dos orange coincé sur une épaule et sa chemise blanche qui me laisse frissonner à la vue du grain de beauté sur son sein droit, je la vois arriver à grands pas dans le petit restaurant en bord de mer. Elle me cherche du regard puis étire ses lèvres pulpeuses en un sourire lorsqu'elle me voit. Eden s'assied devant moi, les deux coudes sur la table et ses lunettes de soleil sur son nez retroussé. On s'échange quelques nouvelles mais on ne tombe jamais dans la banalité, comme si il y avait toujours quelque chose d'excitant dans sa manière de raconter les choses, dans sa manière de mouver ses lèvres d'une façon hypnotisante.
Elle finit son monologue par un éclat de rire qui vibre dans tout mon corps. Je l'ai dans la peau, Eden. Des bouts d'elles se sont coincés partout dans ma vie et j'arrive plus à marcher nulle part dans ma petite ville sans penser à ses pupilles brunes. Y'a comme écrit son nom sur tous les murs, j'ai l'impression d'entendre sa voix passer à la radio, de voir son visage à la télé.
-Y'a une exposition en ville, on pourrait peut-être y aller.
-T'as jamais pensé à quitter ta campagne ? me demande Eden subitement, sa paille en plastique qu'elle mordille entre ses dents.
Je réfléchis quelques secondes alors que mes yeux glissent sur le paysage qui nous entoure. De timides rayons du Soleil parcourent notre peau et la moitié de son visage, si bien que son oeil gauche paraît plus clair. Je les aime tellement, ses yeux noirs et la façon dont je tombe inlassablement à l'intérieur, chaque fois que j'ai le malheur de la regarder quelques secondes.
j'pourrais la quitter cette campagne, faire sept, huit, vingt fois le tour du monde avec elle
J'entends la voix d'Idriss qui cogne contre les parois de mon crâne, je l'entends qui soupire avant de me dire que je suis trop niais mais je me contente de sourire à Éden et ses fossettes qui me donnent envie de tout quitter.