La radio

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Ça fait deux semaines que j'me suis réinstallé dans l'confort douteux de ma routine. Pour comparer, c't'un peu comme un matelas trop dur mais juste assez mou pour te donner le luxe d'être capable de dormir. J'travaille au Couche Tard à temps partiel, j'vais au cégep en Sciences Humaine pis j'nourris Bocal, mon poisson rouge. Je sais, mon imagination est pas mal fertile. Entre ça, j'prend ma douche, je jase avec les propriétaires du restaurant cubain d'en d'sous de mon appart et je mange des wannabe repas qui consistent pas mal à être des bols de céréales accompagnés d'une barre tendre saveur pomme-cannelle. Je texte Max aussi, genre une ou deux fois par jour. ( Bon, plus comme cinq ou six, mais c'est juste des détails ), en attendant des réponses qui n'arrivent jamais. Sauf la fois où elle m'a dit qu'on s'verrait bientôt, vraiment bientôt, avant-hier, vers les trois heures cinquante-quatre du matin. Tout c'que je peux dire, c'est que ça commence à m'faire peur. J'parle du fait qu'elle ait adopté ma tête comme nouveau logement. J'la vois tout l'temps, dans chaque recoin d'mon esprit que j'considérais pourtant secret, privé. Elle se faufile dans mes souvenirs, détruit les barrières de mon intimité. J'ai même l'impression qu'elle m'a tatouée les pensées.

Parlant d'idées... J'pense avoir d'l'air cave pis pas rien qu'un peu d'autant la harceler, elle, la fille que j'ai encore d'la misère à cerner. J'commence à peine à croire qu'notre rencontre a vraiment eue lieu, que j'ai eu la chance d'la voir exister. Ça sonne exagéré, surtout fucké, je l'sais. Anyways, j'pourrais pas, même si j'le voulais ben fort, trouver des excuses à mes dires. Si on retombe dans les comparaisons, vite de même, j'dirais que Max me rappelle l'effet papillon. Elle arrive pis tout bascule, comme Chloé dans Life Is Strange. Dans l'monde réel, un squelette pis une âme un peu inhumaine, c't'un mix qui pourrait faire peur à n'importe qui, à n'importe quoi. Mais la moumoune en moi a un soudain goût du risque. L'affaire, c'est que j'en ai pas juste l'air, niaiseux j'veux dire. J'le suis tout court. Ça vaut tu vraiment la peine que j'fasse des efforts pour finir par les pitcher dans l'vide ? Non. Est-ce que je continue de les faire quand même ? Oui. Pourquoi ? Parce que j'aimerais dont ça la revoir, avoir un dialogue d'une durée plus longue qu'une vingtaine de minutes serait également, je crois, pas trop demandé. Mais soyons honnêtes, juste deux secondes... Il y a probablement deux ou trois autres dudes comme moi, qui la voient dans leurs soupes ou dans leurs Lucky Charms ramollies et dégarnies d'guimauves. J'suis sûrement la nouvelle annotation à son agenda, drette entre Cédric pis Terrence, le gars des Foufounes Électriques pis celui du parc aquatique. Juste en bas d'mon nom, sera éventuellement écrit : Le creep qui m'a suivie de Québec jusqu'à Gaspé. Disons que c'est pas tant charmant comme première impression, mais hey, attendez un peu ! J'pense que y'a d'la musique, pis je veux ben croire au fait qu'le restaurant est occupé la semaine, mais là on est un mercredi semi-soir. En plus, la toune que j'entend est clairement pas cubaine. J'pense reconnaître l'air, mais j'suis pas sûr. Ça m'chicote. J'vais dans l'entrée pour rapidement enfiler mes vieilles vans blanches désormais rendues grises, s'en suit un manteau en toile que je ferme jusqu'au bout, dans les limites du possible. C'est l'début mai, y fait frette sur l'île pis oui, j'suis un p'tit frileux à la gorge fragile. Je sors dehors, sur mon balcon illuminé par des lumières de Noël cheaps pognées sur Ebay, mises en valeur par les murs de la micro-bâtisse où un bleu royal est étalé. Blue-Head est là, sur le trottoir avec les bras bien hauts dans les airs. Ils tiennent une vieille radio poussiéreuse, elle l'est tellement qu'elle en est presque plus noire. Sa taille est deux fois inférieure à la moyenne donc si j'me trompe pas, c'est la version portatible. En tout cas, c'est la chanson Creep de Radiohead qui y joue. Chose certaine, elle a l'sens du théâtre. J'pense qu'elle m'a arrachée une partie d'mon égo, mais a aussitôt rempli le vide créé avec des étoiles amochées. Celles qui avaient trop longtemps traînées dans l'noir de ses pupilles dilatées. Pis moi, bin c'est les battements d'mon cœur qui ont doublés leur intensité.

— T'es là.

C'est tout c'qui est sorti d'ma bouche parce que j'sais pas c'que j'dois dire, émettre ou ressentir. Si j'dois sourire ou pas, mais j'le fait pareil, entre deux serrements d'mâchoire. J'suis pas fâché ni rien, au contraire. C'est juste un tic lié à mon anxiété.

— Ben voyons sapin, j'te l'avais dit ! Fais pas Monsieur l'surpris.

Les extrémités d'mes lèvres ont agrandi la distance qui s'créait tout juste entre elles, signant définitivement le contrat de divorce contre ma "resting anxious face". D'un autre point d'vu, mes jambes à la shape de spaghettis, ayant désormais obtenues la fameuse consistance Al Dente, m'ont presque fait débouler l'escalier. Plus j'm'avance vers elle, plus l'univers semble grand. J'parle de son intergalactique là, parce que l'mien s'fait aspirer par le trou noir qu'elle dégage. Mon soleil et ma lune explosent en symbiose quand elle me touche pour la première fois, sa paume vibrant contre ma cage thoracique, littéralement. Ça traverse ma veste pour se rendre à la fine couche de ma peau qui en a soudainement oublié le mi-printemps québécois. J'suis pu là mais j'suis encore avec elle. Juste ailleurs, l'ailleurs que j'visite enfin. J'en conclue donc une chose. Cette fille là brise peut-être les planètes, mais pas les promesses.

MaxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant