Liz

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Quelqu'un m'a dit un jour qu'être un démon faucheur était une véritable malédiction. Que toutes les faucheuses étaient vouées à passer leur vie seules. Survivre à ses proches, s'éloigner pour être oublié, donner la mort à ceux dont l'heure est venue.

J'ai vécu mille deux cents ans en totale désapprobation avec ça. Donner la mort pouvait s'avérer distrayant. Mon immortalité et mon pouvoir de persuasion me permettaient de faire ce que je voulais, d'aller où je voulais. Je n'avais peur de rien ni de personne, j'étais tout puissant.

Jusqu'à ce que je la voie.


Je suis né en Grèce, aux alentours de 700 après Jésus Christ. Ma mère était une pauvre femme possédée par un démon malfaisant et mon père, le plus puissant de tous les démons. Adoré par ma mère lorsqu'elle était sous le contrôle du démon, détesté par elle lorsqu'elle n'y était pas, j'ai très vite quitté ma terre natale pour faire le tour du monde. J'ai visité tous les continents, et presque tous les pays.

En 1875, j'avais élu domicile à Liverpool, en Angleterre. J'étais sur les traces d'un démon malfaisant qui terrorisait les habitants quand mon instinct m'a guidé jusqu'à une maison bourgeoise du centre-ville. Juché en haut d'un arbre, je scrutais cette maison, essayant de comprendre pourquoi j'avais été attiré ici, quand je l'ai vue.

Une jeune femme était accoudée à la plus haute des fenêtres, observant l'extérieur d'un regard triste et sans vie. Elle devait avoir vingt ans, était d'une grande beauté, une fragilité attendrissante, mais surtout, elle était ma prochaine victime. Et ça, je le savais parce qu'elle brillait. Elle s'illuminait d'un éclat intrinsèque que moi seul pouvais voir. Car j'étais le démon faucheur choisi pour mettre fin à ses jours.

Il me suffisait d'imaginer une mort plausible. Elle aurait pu tomber dans les escaliers et se briser le cou, par exemple. Ou traverser la rue et se faire percuter par un homme à cheval, puis se faire piétiner par un second. Je n'avais qu'à penser très fort à la mort que je voulais lui donner et celle-ci arrivait.

Mais cet après-midi là, du haut de mon arbre, je ne pensais pas à la mort prochaine de cette jeune femme, mais à la tristesse qui altérait ses traits. Habituellement, je n'avais que faire des états d'âmes de mes victimes. Je me contentais de leur donner la mort, sans m'occuper de leur vie passée. Mais la tristesse que je voyais dans ses yeux me serrait le cœur pour une raison que j'ignorais.

Pour me changer les idées, je suis retourné sur les traces de ce démon malfaisant en remettant à plus tard ma besogne. De toute façon, il m'était accordé un temps d'action au bout duquel un autre démon faucheur serait affecté à ma victime si je n'avais pas accompli ma mission.

Au bout de quelques jours, j'ai fini par repérer le démon malfaisant qu'on m'avait demandé d'appréhender. Quand j'en ai eu fini avec lui, une semaine avait presque passé.

Alors, comme à chaque fois qu'un démon tarde à exécuter sa mission, des images de ma victime envahissaient mon esprit à chaque heure du jour et de la nuit. Ses pensées, ses peurs, ses doutes et son passé me submergeaient sans que je ne puisse rien y faire.

Elle s'appelait Elizabeth. Orpheline, elle avait vécu toute son enfance dans un établissement infecte et sale où ni les autres enfants, ni les dames de service ne valaient mieux les uns que les autres. Maltraitée par les uns, rejetée par les autres, Elizabeth passaient ses nuits à pleurer et ses journées à éviter les coups. Puis, lorsqu'elle avait eu treize ans, elle s'était sauvée de l'orphelinat et avait trainé quelques mois dans la rue.

Quand un bourgeois du nom de Tompson l'avait recueillie chez lui, dans son immense demeure entretenue par des domestiques, Elizabeth avait cru que la roue avait enfin tourné, qu'elle était désormais en sécurité. Et cela avait été le cas. Pendant un an. Mais dès lors qu'alla avait fêté son seizième anniversaire, Tompson, qui était au bord de la faillite, l'avait forcée à se prostituer pour lui rapporter de l'argent. Il faisait venir des amis, souvent haut placés, et leur donnait accès à la chambre d'Elizabeth pendant une à plusieurs heures suivant le prix qu'ils mettaient.

Liz (l'histoire de Dagon)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant