Royal contrat

Partie 1

La pluie commence à tomber et comme toujours, j'ai oublié d'emporter un parapluie. Bientôt les gouttes d'eau recouvrent les verres de mes lunettes m'empêchant de bien voir les numéros des bâtiments. Je cherche le n°12, je suppose qu'un notaire doit avoir une plaque. J'attends tellement de ce rendez-vous et je doute que cela soit un hasard s'il tombe le jour même de mes 29 ans. Ma mère me fait sûrement un cadeau du ciel et s'il s'agit d'argent, je pourrais peut-être éviter que les huissiers ne saisissent notre maison. Ma mère est décédée alors que j'avais 8 ans. Je garde des souvenirs d'elle mais comme un vieux film, les images sont un peu passées et je n'entends plus vraiment le timbre de sa voix. En réalité lorsque ma mère a succombé à son cancer, j'ai aussi perdu mon père. Lui était encore vivant mais plus vraiment là sans elle, il a commencé à sombrer et malheureusement, en ce moment, il est au fond du trou. Une cirrhose alcoolique, il est en attente d'une transplantation du foie et notre maison risque d'être saisie d'un jour à l'autre. Mon père a sombré dans l'alcool après la mort de maman. Il n'a jamais eu l'alcool triste ou violent mais avoir un père absent, c'est difficile aussi. J'ai dû me responsabiliser très vite. A huit ans, j'ai appris à faire tourner une maison et jusqu'à aujourd'hui, je m'occupe du mieux que je peux de mon père. Après avoir perdu son emploi, il y a cinq ans et mon entrée dans la vie active, sa descente s'est accélérée. Donc j'espère que cette rentrée d'argent inopinée me permettra de le remettre en selle car mon job d'institutrice de maternelle ne me permet pas d'arriver à renflouer les dettes colossales de mon père.

Enfin le numéro 12 apparaît et je suis trempée, je pousse très vite la porte d'un vieil immeuble haussmannien du VIIème arrondissement de Paris. Je suis curieuse de savoir comment ma mère, jeune immigrée polonaise, a pu connaître ce notaire parisien plutôt côté. J'ai fait de petites recherches sur internet et il s'agit du cabinet qui traite les plus grosses affaires de la capitale. Devant la porte du cabinet, j'essaye d'arranger au mieux mes cheveux, une masse informe de cheveux blonds ou châtains clairs (cela dépend de l'observateur) et surtout de sécher mes lunettes pour éviter de voir mon interlocuteur flou J'ai juste une légère myopie en réalité mais j'ai toujours été très complexé par mes yeux. J'ai les yeux vairons, mon œil droit est marron presque noir tandis que le gauche est vert clair. Les lunettes dissimulent cette particularité à la plupart de mes interlocuteurs. Avec les trompes d'eau qui me sont tombés dessus, je dois ressembler à un chat détrempé. J'arrête de m'obstiner à me rendre présentable et sonne à la porte.

Une jeune femme élégante vient m'ouvrir et immédiatement, je me sens affreuse. Elle est magnifique avec un joli visage en forme de cœur, un corps filiforme et des jambes interminables. Sa coupe garçonne lui va à merveille. Si je me faisais la même coupe j'aurais l'air d'un tabouret de bar avec une moumoute.

- Bonjour, me dit-elle.

Et même sa voix est belle. Je me sens totalement ridicule. Je bafouille :

- Bonjour, je suis Mademoiselle Clermond. J'ai rendez-vous avec Monsieur...

- Monsieur Zellmann, ils vous attendent, me confirme-t-elle en me faisant entrer. Je vais prendre votre manteau.

Elle s'empare de mes épaules et me retire le duffle-coat noir ruisselant d'eau. Sans plus attendre, elle me pousse dans un cabinet où je me retrouve face à trois hommes. Je m'attendais à faire face à un vieux monsieur avec un costume en tweed et au lieu de ça, je me retrouve devant trois spécimens dans la fleur de l'âge vêtus de costumes de marques. Deux d'entre eux me font face debout dos à l'immense baie vitrée qui donne sur la Seine tandis que le troisième est installé dans un luxueux fauteuil.

- Mademoiselle Clermond, m'appelle l'homme assis en se levant alors que la porte se referme derrière moi.

Il se lève pour me rejoindre en trois enjambées. Il a le teint bronzé en plein mois de mars et de magnifiques cheveux poivre et sel. On dirait un Richard Gere nouvelle génération.