Devant mon insistance, le personnel médical a accepté de me laisser partir. J'avais été hospitalisé dans une clinique privée située à Neuilly, ville connue pour accueillir une population aisée. Pour rejoindre, mon habitation dans les Yvelines, j'ai mis plus d'une heure trente. Le seul message reçu sur mon téléphone était de mon amie Claire. Mon seul et unique message d'anniversaire. Même si on se voyait demain pour fêter ça, elle avait quand même tenu à m'envoyer ce message. C'est bien la seule chose qui me mettait du baume au cœur aujourd'hui. Alors que j'arrive enfin devant ma porte, le téléphone se met à sonner. Mon espoir est vite douché, le nom de Jean-Luc s'affiche sur l'écran. Jean-Luc, c'est le patron du Baron, le bar PMU de la ville. L'endroit où se trouve mon père lorsqu'il n'est ni dans notre maison, ni à l'hôpital.
- Allô, répondis-je.
- Mon petit, faudrait que tu viennes chercher ton père. C'est bientôt la fermeture et il n'arrivera pas à rentrer tout seul.
- Bien sûr j'arrive.
Il raccroche. J'aime bien Jean-Luc, il me prévient toujours avant de jeter mon père à la rue. Certains des propriétaires précédents de ca bar n'avaient pas ce genre d'attention à mon égard même lorsque j'étais plus jeune. Il pleut toujours mais je suis tellement trempée que finalement ça m'importe peu. Je mets plusieurs minutes à arriver devant le Baron presque désert. Jean-Luc me salue de son bar qu'il astique tandis que sa femme et sa fille font le ménage du côté du tabac. Elles me font chacune un sourire. Mon père est avachi sur un tabouret.
- Mon ange, me hurle-t-il. Ma princesse. Vous le savez qu'aujourd'hui mon bébé a 29 ans.
- Oui, lui réponds gentiment Suzanne la femme de Jean-Luc. Tu nous l'as dit toute cette après-midi.
- Oui, oui. Ta mère, ta mère serait tellement fière. Tu es devenue si belle et si intelligente.
Le laïus sur ma mère continue durant tout le chemin. Ces mêmes phrases répétées nuit après nuit. Il commence toujours par me dire qu'elle aurait été fière, puis qu'elle n'aurait pas dû mourir que c'est lui qui aurait dû. Ma mère aurait su m'élever, elle ne m'aurait pas fait subir tout ça, ... Au départ, j'essayais de parler, de converser avec lui mais ça ne sert à rien. Il est plongé dans ses souvenirs et mon avis, ma perception des choses ou même mes sentiments il ne les entend pas. Enfin, devant notre porte que j'ouvre laborieusement, j'arrive à le déposer sur la chaise que j'ai déposé dans l'entrée à cet effet. C'est un vieux fauteuil de bureau avec des roulettes, ça me permet de le traîner plus facilement jusqu'à sa chambre. Il est bien imbibé ce soir, je n'arriverais ni à le faire manger, ni même à l'obliger à la plus élémentaire des hygiènes.
- Tu veux aller dormir papa ?
- Oui, je suis un peu fatigué, souffle t'il les yeux mi-clos. La journée a été dure.
Que devrais-je dire ! Mais je ne relève pas et surtout, je n'expliquerais pas à mon père dans quelle spirale je viens de tomber la tête la première. J'amène la chaise roulante devant son lit avant de l'aider à s'y coucher alors qu'il marmonne des paroles qu'il est le seul à comprendre. Dès que sa tête touche l'oreiller, les chuchotements s'arrêtent pour devenir des ronflements. Je lui retire ses chaussures avant de le recouvrir d'un drap. Je dispose aussi une bassine au pied de son lit avant de sortir. Normalement, je supporte plutôt bien la situation ou plutôt je m'y suis faite. Je fais ce que j'ai à faire, mon père est ma seule famille alors j'en prends soin mais aujourd'hui, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Alors que je referme la porte de sa chambre, les larmes se mettent à tomber silencieusement. Certaines ont des rêves grandioses devenirs actrice, chirurgienne, écrivain pour enfants et moi, la seule chose que je désire c'est de savoir ce que l'on ressent lorsqu'on vit une vie normale. Avoir des parents aimants et équilibrés, des amis, voir même un petit ami, un peu d'argent tout ce qui a l'heure actuelle m'échappe totalement. Les événements d'aujourd'hui ne font que renforcer le sentiment qui m'habite. Ce sentiment qui m'interdit le bonheur ou même le calme. J'allais devoir épouser un parfait inconnu. On dirait le début d'un roman sentimental mais ma vie ne connaît aucun happy end. Je suis épuisée et les sanglots qui me secouent ne m'aident pas à reprendre pied. Je monte l'escalier de ma petite maison pour atteindre « mon étage ». Mon père n'arrive ou ne veut plus monter cet escalier et a donc investi la chambre du bas qui dispose de WC et d'une douche. En haut, c'est mon monde, mon sanctuaire. Je me dirige vers la salle de bains puis allume le robinet de la baignoire. Une fois déshabillée, je me laisse glisser dans l'eau brûlante alors que les larmes ruissellent encore sur mes joues.

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Royal contrat
RomansaSortie aux éditions Butterfly le 18 mars 2022. Un prince terriblement sexy, un contrat et une fille sans histoire. La vie d'Alice va être chamboulée quant elle prendra connaissance du contrat qu'a conclu son arrière-arrière-arrière grand-père avec...