#20 - Le syndrome du pantin joyeux

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Il n'y avait rien de plus simple, pensions-nous. Extraire quelques chromosomes, les séparer les uns des autres, et voilà, ça fait un joli petit humain. Je me demande encore ce qui a merdé. Peut-être un mauvais calcul ? Une erreur dans le protocole ? Ou bien encore quelque chose échappant à notre contrôle ? Qui peut savoir ?

Nous nous intéressions, mes collègues psychologues et moi, aux émotions humaines. La colère, le désespoir, la joie. Était-il possible de concentrer un esprit humain sur une seule de ces émotions? Pouvions-nous brider l'esprit de façon à ce que ni la colère ni la peine n'affecte la psyché du sujet? Ceci était théoriquement possible.
Je ne vais pas vous expliquer le protocole expérimental. Tout d'abord parce que je ne veux pas que tout ceci se reproduise, ensuite parce que j'ai peur de devenir cinglé si je dois me les rappeler. Ces choses horribles qu'on a faites. Nous étions jeunes et ambitieux, rien ne pouvait nous arrêter et personne n'était dans nos pattes pour nous dire que nous faisions fausse route. Tout ce que je peux dire c'est que nous avons prélevé quelques cellules souches, nous les avons incubées jusqu'à leur stade embryonnaire, puis nous les avons soumises à de minimes modifications génétiques. L'expérience fut appelée "le projet de l'homme-ange". Son but consistait à créer un être qui ne ressentirait que la joie. Mais quelque chose a merdé. Terriblement merdé.

La moitié des sujets est morte inexplicablement, sans symptômes avant-coureurs, sans cause apparente. La seconde moitié a été, pour la plupart, victime de malformations. Seuls trois d'entre eux ont été considérés comme viables. Nous les pensions parfaits. Un nouvel être aux capacités mentales hors du commun grâce à cet état d'euphorie permanente.

Leur croissance a été tout ce qu'il y a de plus normal, jusqu'au huitième mois. C'est à ce moment là que les premiers symptômes sont apparus. Perte d'équilibre, troubles du sommeil et de l'alimentation, mauvaises réponses aux stimuli. Bien évidemment, nous étions paniqués, mais nous ne laissions rien transparaître et nous avons continué le projet. Nous aurions dû nous en arrêter là. Nous aurions dû prendre ces foutus sujets, les euthanasier, les cramer et fermer le labo. Mais on a quand même continué.

La situation a empiré. Les mouvement des sujetsn'ont bientôt plus été qu'occasionnels, et ils ne prononçaient toujours pas le moindre mot, même s'ils étaient capables de rire et qu'ils y passaient le plus clair de leur temps. Beaucoup trop de temps. Pas des rires de joie mais plutôt des rires discrets, presque nerveux, et quasiment sans s'arrêter. Peu importait l'intensité de la douleur à laquelle le sujet était soumis, il vous fixait tout en continuant à se marrer, comme s'il se moquait de vous, comme s'il considérait comme inutile toute tentative de le blesser.

Nous espérions des sujets une capacité d'apprentissage accrue. C'est tout l'inverse qui s'est produit. Leur développement mental était extrêmement en retard. Ils ne pouvaient maintenir leur attention qu'une poignée de minutes avant de retomber dans leur état d'hilarité. Nous avons toutefois poursuivi l'expérience, espérant que ces symptômes allaient s'atténuer avec le temps. Nous avons donné un nom à ces symptômes : "le syndrome du pantin joyeux", car leurs mouvements incohérents, mécaniques, ressemblaient à s'y méprendre à ceux d'une marionnette dirigée par des fils.

Au bout de cinq ans, on s'est rendu compte qu'il n'y avait aucun espoir. Les rires incessants des enfants nous devenaient intolérables, comme s'ils savaient quelque chose que nous, nous ignorions, comme s'ils se fichaient de nous. Être confronté à un enfant pris de convulsions et de bouffées d'hilarité est une chose qui vous hante à vie. Deux de mes collègues, ne supportant plus cette situation, ont abandonné le projet. Je n'ai plus jamais eu de leur nouvelles. Ils sont probablement morts.

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⏰ Dernière mise à jour : May 19, 2017 ⏰

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Recueil d'histoires d'horreurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant