Oppressant, froid, puissant, vide, sombre, irréel. Que de mots qui serviraient à décrire cette partie de la ville dans laquelle je m'égarais. Les pavés de pierre défilaient sous mes pieds, tous décalés les uns des autres de plus ou moins trois centimètres. Les murs qui m'entouraient étaient blancs comme la neige qui commençait à tomber doucement, et marqués néanmoins de quelques saletés sur la peinture qui s'écaillait. Les lampadaires plutôt éloignés les uns des autres rejetaient des effluves d'huile et illuminaient d'une lueur jaunâtre et blafarde les rues dans lesquelles je m'enfilais. La nuit qui venait de tomber apportait avec elle un vent glacé qui soufflait et s'engouffrait dans les allées dans des hululements sinistres. Personne dehors, pas même une ombre aux fenêtres. Seul le bruit de mes pas, le courant de la rivière et le cri du vent résonnait dans la ville. Le désert en pleine campagne.
Je tournais mon regard vers tout ce qui passait à sa portée. Les vieilles affiches, les dernières feuilles mortes et les cigares usés qui jonchaient le sol couraient dès le moindre coup de vent. Les pancartes en bois ou en fer des bars claquaient en frappant les murs et les rares chats sortant de chez eux se déplaçaient, furtifs, entre les rares voitures et calèches le long du trottoir et tendaient une oreille à chaque bruissement suspect. Cette partie de la ville ne me donnait que la chair de poule et un sentiment d'insécurité, mais autre chose m'y attirait inéluctablement. Quoi? Je ne su pas. Le désir de solitude et de calme, je suppose. Je ne voulais pas le brouhaha de la haute ville si désagréable, la pollution permanente des usines et tout ces gens qui couraient les rues. Je notais de nombreuses différences entre ici et là-haut; Le silence brisé par le vent et la rivière était reposant, calme, et la bise n'ameutait pas de nuages de smog au visage des passants. C'était si calme qu'on se serait cru dans un autre monde, et pourtant j'étais dans la même cité.
J'aurais continué à faire l'éloge de cette basse-ville si elle ne faisait pas aussi peur avec cette ambiance troublante. C'était que, contrairement à la haute-ville, si je mourrais ici, personne n'en saurait quoi que ce soit, on m'aurait probablement oublié. Cette idée, d'être oublié par le monde comme cet endroit me faisait quelque peu appréhender cette balade, bien que concrètement, je ne risquais pas plus ma vie que dans les ruelles de Salzbourg à minuit. Ici comme dans ma ville natale, peut-être que je me ferais agresser au détour d'un bâtiment, peut-être que des mafieux s'en prendraient à moi, mais je secouais la tête; Quelles bêtises aurais-je pu encore inventer pour m'empêcher de prendre le risque d'avancer dans ce faubourg?
J'arrivais finalement vers un pont. Il y en avait plusieurs ici, étant donné que la ville était entrecoupée par une rivière, et quelle rivière. La Sarine, un lézard se faufilant entre les monceaux de ville comme entre les briques d'un muret. Un long serpent sifflant en permanence, cherchant toujours plus de terrain pour s'allonger. Un fouet claquant contre les pieds des ponts avec sa force inouïe par endroits. Le Styx, avec son eau troublée par les remous de vase. J'observai ce pont avec attention. Il était en bois, les piliers qui le soutenaient étaient plongés dans la vase noire et il était surmonté d'un toit de bois lui aussi. Les armatures en hêtre maintenaient le tout et grinçait à cause du vent. Je montais sur la passerelle et me penchai pour observer l'eau. Seul le noir se reflétait dans la rivière, pas de lune, ni d'étoile. Juste la réflexion de ma silhouette. On n'en voyait pas le fond, et probablement qu'il fut rempli de roches tranchantes ou de je ne sais quelles bêtes visqueuses mangeuses d'homme. Bien entendu que la seconde possibilité n'était pas plausible, mais l'allure de cette rivière aurait pu faire douter de son véritable contenu.
Alors que je sondais la rivière du regard, une ombre attira mon œil sur le pont. N'y prêtant aucune attention, je continuais mon investigation, jusqu'à ce qu'elle se glisse jusqu'à moi. Je fis un saut; Le reflet d'un visage apparut à côté du mien. Je me retournai brusquement pour voir qui était là. Rien. Non, il n'y avait personne, pourtant. Mais alors... Je me jetai de l'autre côté pour revoir le reflet, mais il avait disparu.
"- Vous cherchez? Je fus pris à nouveau de panique. Considérant que l'on s'adressait à moi, je répondis;
- Je... Hem... La solitude. L'autre rit. Cette personne, visiblement un homme vu sa voix, semblait bien amusé de me parler.
- La solitude, c'est comme la langue...
- La meilleure et la pire chose au monde.
- Ésope, n'est-ce pas? Un jeune homme bien cultivé en plus. Je voulu me retourner pour voir mon interlocuteur, mais j'avais beau le chercher du regard, je ne le trouvais pas. Néanmoins, je continuais;
- Oui. Mais je préfère m'arrêter sur le cas de la solitude.
- Satisfaits sont ceux qui la cherchent, démolis sont ceux qui la subissent. Il marqua une pause avant de soupirer. Je suis bien placé pour le savoir, il ne reste de moi que les souvenirs. Intriguée par la réponse, je demandais;
- Pourquoi donc?
- Je ne sais comment le dire.
- Dans ce cas il faut apprendre à parler.
- Et vous apprendre à être plus respectueuse envers vos aînés. Je me retournais, outrée.
- La ferme, si ça se trouve tu es plus jeune que moi! Et puis montres-toi aussi!
- Vous devez aussi apprendre à observer. En haut, petiote. Je levai la tête pour enfin voir à qui je parlais depuis cinq minutes. Assis sur une poutre, les jambes croisées et les bras enroulés autour de ses genoux, mon interlocuteur se trouvait à au moins trois mètres du sol.
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Le pont sur la rivière
Fanfiction.::La Sarine, un lézard se faufilant entre les monceaux de ville ::. .:: comme entre les briques d'un muret. ::. .:: Un long serpent sifflant en permanence ::. .:: cherchant toujours plus de terrain pour s'allonger ::. .:: Un fouet claquant contre l...