Sel de mer

Dernier jour d'une phobie

Gaël trempa timidement son pied dans le grand bain. D'ordinaire, il ne serait pas allé plus loin. Mais cette fois là, il passa à l'échelon suivant, laissant l'eau effleurer son genou. Puis sa cuisse, sa taille, son torse. Ses bras étaient encore en dehors, bien agrippés à l'échelle. Sally souriait, fière de cette première leçon de natation.

Du torse, il fallait passer aux épaules et lâcher les barreaux sécurisants, laisser le clapotis caresser son menton. Gaël serra les dents, rassembla sa bonne volonté et tenta de retirer ses poings fermement serrés de l'échelle. Un premier doigt plongea dans la piscine. Un deuxième. Un troisième. Il ne resterait bientôt plus qu'une main pour l'empêcher de couler. Il souleva son index et toute la main glissa dans les vagues. Sally entoura sa taille.

-C'est bon, tu peux y aller, je te tiens. Tu as pieds.

Elle passa sa main sous celle de Gaël et il se retrouva dans l'eau, sa tête ressortant tout juste. Il avait pied. Il avait eu si peur de se noyer mais le carrelage était bien là, sous ses talons. Sally lui intima de mettre la tête sous l'eau. Elle avait pris sa main, et avait plongé la sienne, bloquant sa respiration.

Gaël la regardait faire avec cette question accablante en tête: "Comment respirer sous l'eau?". Il n'y alla pas. Et Sally l'attendait. Elle ne pouvait pas se noyer quand même? Finalement, elle releva la tête. Elle le regarda, souffla longuement, inspira abondamment, puis y retourna. Gaël baissa la tête. Sentit les remous provoqués par les nageurs lui chatouiller le nez. Il se redressa. Souffla. Inspira aussi longtemps que Sally, bloqua et enfoui sa tête dans l'immensité bleue. Son corps tout d'abord se crispa. Puis, il se rendit compte qu'il ne se passait rien de grave. Il regarda Sally, elle avait l'air à court d'oxygène mais quand elle croisa son regard, elle sourit.

Il ne respirait pas. Il s'en rendit compte. Il ne respirait pas. Il n'y avait tout simplement aucune petite molécule, si infime soit elle qui ne parvienne de sa bouche ou son nez à ses poumons. Il souffla, pour voir, tout cet air pollué qu'il avait en lui et des petites bulles vinrent se perdre dans ses cheveux d'or. Il voulut inspirer. Il avait déjà inspiré à maintes reprises sous l'eau et en connaissait les conséquences. Il termina de vider ses poumons et se releva. Il sentit l'air neuf dans sa gorge, le soulagement de respirer à nouveau, de n'être pas mort. Sally le regardait.

-C'est bien. Tu progresses depuis qu'on a commencé ces cours. Peut-être qu'on va pouvoir passer au mouvements...

Gaël essuya son visage. Il avait hâte. Le jour où il saurait nager serait le dernier jour de sa phobie. Et ce grâce à Sally. Il fixèrent la date du prochain cours puis ils se séparèrent. À partir des vestiaires, Sally disparaissait. Gaël avait beau l'attendre, il finissait toujours par partir sans elle.

-À demain, en cours, lui dit-elle avant de passer le rideau de plastique qui séparait les vestiaires des deux sexes.