Premier jour de peur

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Plus personne au camp de réfugiés. Plus rien. Lucille n'arrivait pas à se défaire du manque qu'elle traînait partout avec elle. Manque d'une personne si inconnue mais si proche, si intime mais si mystérieuse. Un personne dont elle connaissait le secret. Une personne disparue, expulsée de son logement, apparition, spectre à jamais évanoui.

Plus de cours de natation pour Gaël. Il se débrouillait. Il n'arrivait pas vraiment à oublier Sally mais elle avait posé les règles du jeu dès le premier jour. Une apparition suivie d'une disparition. Trois jours qu'elle s'était volatilisée. Combien de temps encore avant la réapparition ? Souvent, une pensée venait répondre à cette question: jamais. Mais il la chassait bien vite et feignait de ne pas compter les jours.

Ils se trouvaient à nouveau en cours de cinématographie et étudiaient la construction d'un scénario. Les pages de cours bourdonnaient, claquaient, les interjections fusaient et Jeannette opinait.

Une des fiches de Lucille fut prise dans le mouvement du cours et glissa lentement pour finalement s'envoler. La jeune fille se pencha, le papier joua un instant avec ses doigts avant de lui échapper fourbement et de planer au dessus des rangs d'étudiants affairés.

Jaillissement d'une main. Arrêt du vol de la feuille. Soulagement de Lucille. Sourire amusé, retour du document à sa place. Croisement de deux paires d'yeux, bouche en O. Rire bref mais gêné. Retour d'une fascination après trois jour d'absence.

Sally, plus réelle que jamais. Tout son corps souriait de revoir ses amis mais ses yeux avaient une ombre floue, triste, larmoyante. Avait-elle délibérément voulu disparaître, était-elle embarrassée d'être retrouvée ?  

Lucille frissonna devant ce faux bonheur. Elle eut peur. Que s'était-il passé? Contrairement à ce que Gaël pensait, Sally n'avait pas dû être malade ces derniers jours. Il semblait que la vie lui avait réservé pire. 

À la pause déjeuner, alors que les trois compères mordaient avidement dans un sandwich, Sally planta ses yeux dans ceux de Lucille et dit:

-Ça va mal, au camp.

Gaël l'interrogea du regard mais elle l'ignora.

-On a été déplacés... Mais on va être expulsés je pense.

Les larmes affluaient dans ses yeux, chatouillant ses cils qui ployaient un peu. Lequel de ces petits poils allait fléchir en premier et laisser chuter les pleurs?

Lucille ne savait pas quoi répondre. Il fallait faire quelque chose, elle le savait mais elle avait peur de faire une bêtise, elle avait peur de souffrir. Elle avait toujours eu peur de la violence, elle avait peur des CRS, peur de ces gens qui voulaient expulser son amie, peur de l'illégalité. Mais elle avait certainement plus de pouvoir que son ami pour agir. Et elle ne pouvait pas rester là sans rien faire, son amie était en mauvaise passe.

Une petite goutte finit par ruisseler sur la joue de Sally. Lucille ne savait pas quoi faire. Elle se sentait inutile, incapable de résoudre ses problèmes. Gaël finit par venir caresser le dos de Sally. Il ne comprenait pas, ne souhaitait pas comprendre mais il ne voulait pas la laisser sangloter toute seule. Sans saisir le problème, il avait déjà trouvé un moyen de soulager Sally, tout simplement. Lucille se sentait minable.

Sel de merWhere stories live. Discover now