Cela faisait trois ans que j'étais dans cet établissement. Au début, je pensais que tout se passerait bien, qu'il n' y aurait pas de problème, pas comme dans le précédent...
Je décidai rapidement de m' ouvrir à tout le monde,de ne pas rester cloîtré dans mon isolement habituel. D' être expansif. Il paraît que c' est comme ça qu' on se sociabilise. Moi,je n' en avais pas l' habitude, mais j' étais prêt à faire un effort. Pour m' intégrer.
Un matin, un élève s' est levé, s' est tourné vers moi et m' a traité de sale face de rat,comme ça, sans raison... Pourquoi à moi, pourquoi à cet instant ?Que lui avais-je fait ? Qu'avais-je dit ? Je crois bien, non,rectification: je suis certain ne jamais lui avoir adressé la parole jusqu'à lors. Dans mon malaise, je n' ai su lui rétorquer qu' un timide et ridicule: « Et toi, tu t' es vu ? »
Cette repartie, loin de faire mouche et de me procurer un quelconque avantage, m' a totalement discrédité vis-à-vis des autres membres du groupe-classe. Ça y est, en quelques secondes, j' étais catalogué looser ou abruti de service( voire de sévices... ).
A partir de là, cet élève n' a cessé de me harceler, de m' invectiver devant tout le monde, de se moquer de moi,de ma façon d' être, de ma façon de parler, de ma voix, de mes manies, de mes tics, de mes habitudes vestimentaires.
C' est dur de vivre ça quand on va à l' école. De subir ça toute la journée, puis de rentrer chez soi, la tête dans les épaules, l' air abattu, avec une seule envie, celle de tout laisser tomber, de ne plus y aller. Maman était bien là pour me consoler et me parler, et cela fonctionnait le temps d' une soirée,je reprenais confiance. Mais le lendemain était un autre jour, avec son cortège de nouvelles peines et humiliations.
Certains matins, je me surprenais à dire, devant ma glace:
« Allez, recouche-toi, n' y va pas, personne n' a besoin de toi là-bas. Tu n' es pas indispensable. Ton absence ne sera pas remarquée. Les autres t' oublieront peut-être et toi, tu te reposeras. En y retournant, on te laissera sûrement tranquille ».
C'est vrai qu' il n'y avait rien de rassurant pour moi dans cette glace. Ces longues mèches de cheveux gras désordonnés qui pendaient le long de mes tempes et sur le plat d'un trop large front boutonneux, encore davantage élargi par des orifices auditifs démesurés, aux lobs monstrueusement longs et charnus... Ce nez busqué et ses petites lèvres pincées bien trop en dessous, et trop près d' un menton proéminent en galoche, fendu par une large fossette aussi laide que l' ensemble... Une voix de crécelle qui surprenait son monde... Des habits vieillots flottant dans un corps rachitique... Voilà ce à quoi je ressemblais, ce que je devais assumer matin, midi et soir. Ce physique ingrat et repoussant associé à un caractère faible marqué du sceau de la timidité faisait de moi, depuis toujours, un être insignifiant, pusillanime, ne présentant aucun attrait, aucun intérêt pour personne. Pas d'ami,seulement quelques connaissances toujours trop lointaines. Et il fallait que je m' accommode avec ça. Seulement, je ne pouvais pas me voir en peinture. Et je rejetais sûrement ce complexe sur les autres. Au lieu d' être aimable, j' étais agressif, comme si eux y était pour quelque chose.
Souvent,entre deux copies, je pensais à ce doux temps de l' insouciance avec papa et maman, cet âge béni où les gens n' osent pas encore dire votre laideur, même s' ils l' ont relevé dès votre naissance.Non... Ils espèrent peut-être que tout changera avec le temps, que le poids des ans écrasera cette ingrate figure et la remodèlera suivant un stéréotype plus conforme aux attentes actuelles. Mais les années passent, et je demeure égal à moi-même: une sale face de rat,comme me l' a gentiment rappelé Anthony, l' élève qui se moque de moi...
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NOUVELLES DES BANCS D'ECOLE
ContoLe monde de l'école, de la maternelle au lycée, tel que vous ne l'avez jamais imaginé, même dans vos pires cauchemars... Nouvelle 1 : Le Souffre-Douleur... Que se passe-t-il si l'on pousse quelqu'un à bout ? Sujet difficile : le harcèlement.