NOUVELLES DES BANCS D'ECOLE

Nouvelle II- LES AFFRES DE L'ENFER

Avec mes copains de classe, ça fait longtemps qu' on se fait des virées nocturnes en voiture. Selon des préceptes moraux bien établis par notre société, les parents n' approuvent généralement guère ce genre d' activité, mais les miens me laissent sortir une fois par semaine, le mardi soir, car je n' ai pas cours le mercredi.

Le mardi soir, donc, c' est la nocturne spécial révisions avec mes potes. C' est ce que croient bêtement mes parents. Ce qu'ils sont naïfs !

Depuis tout petit, j' ai des penchants morbides, je suis irrésistiblement attiré par tout ce qui est sanguinolent,irrationnel, brutal, extrême. A la maternelle, j' écrasais tous les insectes qui passaient à côté de moi. Certes, je vous concède qu'on l'a tous – plus ou moins – fait, mais moi, c' est différent. Je n' attendais pas la bestiole qui allait passer malencontreusement sous mon pied, non, j'allais volontairement la chercher, la débusquer. Je la repérais de loin pour l' écraser. Et quand cela était fait, c' était une grande jouissance qui montait en moi, une de celle qui n' est pas raisonnable, car contre nature,mais qui procure un tel plaisir...

Je n' ai jamais eu de rapports avec une fille, mais je pense qu' elle souffrirait avec moi, sur tous plans, physique et psychologique. Je crois que là aussi je ne pourrais exprimer mes émotions qu'en infligeant de la douleur à l'autre. C'est dur à admettre, je le reconnais, et ça me fait mal à moi aussi. Mais ce qui me fait mal me fait du bien. Ce qui me fait peur me fait du bien.Et le Mal me fait peur et m'attire tout à la fois.

Depuis que je suis entré au Lycée, j'ai la chance (ou le malheur, selon le point de vue adopté) de pouvoir assouvir mes désirs sadiques.

J'ai rencontré deux types – deux redoublants ( en fait, des triplants ) - totalement barges, adeptes du satanisme. Les pauvres sont rejetés par tous, dans notre classe de seconde 4 comme dans tout l' établissement. Bon, c'est vrai qu'ils ne font guère d'efforts pour se faire apprécier, mais faut-il en faire ?

Je n' appartiens pas à leur mouvance, à vrai dire, je m' en fous de Satan et de toutes ces conneries. Je le leur ai dit.Ils m' ont traité de blasphémateur. Je me souviens leur avoir rétorqué: « Au contraire, les mecs, au contraire. C' est vous qui blasphémez. Moi, je rééquilibre. »

Je me le rappelle comme si c' était hier. C' était notre première discussion. Ils m' avaient répondu qu' il n' y avait rien à rééquilibrer, que tout n' était qu' équilibre en ce bas monde, et que justement, leur rôle à eux était de foutre un peu le bordel et d' apporter le chaos dans cette harmonie franchement chiante. Et moi de leur répondre qu'ils iraient en Enfer, et eux de ricaner: « Eh ben super, alors ! C'est l'endroit rêvé pour nous. Et puis là-bas, c'est top pour faire une mega-teuf ! Grillades à volonté ! »

J'avais apprécié leur propos, leur sens de la repartie et de l'auto-dérision, leur humour décalé. On a vite sympathisé, même s'ils ont compris qu'ils ne pourraient pas me convertir. Non, moi, j'apportais ma différence, ma folie, ma démence.

On s'est retrouvé sur un point: celui de la souffrance des autres et de la joie qu'on éprouvait à la leur infliger nous-mêmes.

Depuis quelques temps, nous nous organisons des petits tests sataniques grandeur nature dans l'enceinte du lycée. Le premier fut particulièrement excitant, d'abord parce que c'était mon baptême, ensuite parce qu'il s'est déroulé dans un lieu hautement sordide, à savoir les toilettes du bahut. Nous éprouvions une haine viscérale pour l'un des élèves de la classe, une sorte de beau gosse stylé, friqué, fashion victim comme l'on dit pompeusement maintenant. Une ruche autour de laquelle s'agitent des dizaines d'abeilles toutes plus délurées et écervelées les unes que les autres.