Chapitre III : Elation

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Il devait être aux alentours de minuit quand je sortis de ma maison, lampe torche et pied de biche à la main, et pris la direction de la mairie.

Il fait froid, j'augmente donc la température de mon manteau. J'entrevois la mairie, ombre noire et imposante. La profondeur des ténèbres environnant m'oppresse. Ne voulant pas me faire repérer en allumant ma lampe torche, j'avance sans un bruit dans l'obscurité, me repérant à l'ouïe. Pour le moment, aucun son ne parvient jusqu'à mes oreilles. Pas de vent, pas d'animaux, pas de lumière... J'ai l'impression de progresser dans une ville fantôme. Et au fond, je crois que c'est le cas.

Au bout de, je pense, cinq minutes, j'atteins les portes de la mairie. Pris de doutes, je réfléchis au pour et au contre de ce que j'allais faire. Bon... il y a plus de contre que de pour mais je suis prêt à tout pour retrouver Calvyn et voir ses enleveurs derrière les barreaux, les yeux pochés et des traces de coups sur le corps. Je prends donc mon pied de biche et tente d'enfoncer la porte à l'aveugle, ne pouvant pas allumer ma lampe torche de peur que l'on puisse m'apercevoir. N'y arrivant pas, je décide de briser le verre de la porte et de me glisser dans l'enceinte du bâtiment.

Une fois à l'intérieur, j'allume – enfin – ma lampe torche et me mets à fouiller dans les bureaux des secrétaires. Chose qui me prit un moment car ils étaient remplis de piles de différents types de dossiers et contrats. Mais mes recherches me menèrent à un dossier qui m'interpelle. Il y est noté « Affaire Jötunn ». Après l'avoir ouvert, j'y découvre des tas de textes au contenu douteux, des images de ces horribles monstres ainsi qu'une liste dressant un énorme nombre de noms et de photos, qui s'avère être la liste des victimes de Jötunn, ce que je compris en y voyant les noms et photos de mes parents.

En approfondissement mes lectures, je trouve plusieurs fiches dressant les lieux de chaque attaque, les blessures portées par les victimes, leur situation familiale... C'est alors qu'un détail étrange se présente clairement à mes yeux ; toutes les victimes des Jötunn étaient mariées et possédaient au moins deux enfants. Troublé, et peu convaincu, je vide le dossier et le place à son emplacement d'origine. Je dispose son contenu sous mon bras et continue de chercher dans les tiroirs, classeurs, placards et autres. Aucune autre découverte n'en résulte.

Je finis par me demander si cette liste de noms existe réellement. Ce qui est impossible, vu que la secrétaire m'avait bien dit qu'elle pouvait me la passer. Enfin, avant que je lui annonce que mes parents étaient décédés à la suite d'une attaque de Jötunn...

Voyons, où peut-elle bien être ? Sans doute dans un dossier sur les enlèvements d'enfants. Il y en a forcément un vu l'ampleur qu'on toutes ces disparitions. De plus, si la secrétaire s'apprêtait à me donner la liste directement sans exiger que lui montre ni justificatifs, ni motifs, le dossier est accessible à tous et ne doit donc pas être caché.

Je reprends donc mes recherches activement, priant de pouvoir mettre la main sur cette fichue liste. Je vide tiroirs et étagères, envoyant balader documents administratifs, plaintes et papiers d'identité qui jonchent par dizaines le sol du bâtiment municipal. Mais je ne trouve rien, aucune liste, aucun dossier sur les enlèvements.

Il doit bien se trouver quelque part... Mais oui ! Quel idiot ! Les ordinateurs ! Maladroitement, j'allume le premier ordinateur qui tombe sous ma main. Le bureau s'affiche après la traditionnelle petite musique de démarrage qu'émet l'unité centrale. Dieu merci, aucun mot de passe ne m'est demandé. Je me rends sur le poste de travail, puis dans les documents de l'ordinateur. Malheureusement, un nombre ahurissant de dossiers apparaît. Cette nuit va être longue...

Au bout d'environ une heure, d'après celle affichée par l'ordinateur, je finis par trouver un dossier qui pique ma curiosité. Il se nomme « Disparitions/Agressions ». Je double clique dessus, et au fil des documents, j'en aperçois un autre nommé « Enlèvements mineurs ». Lorsque je lis la phrase « Familles de victimes » en gras et, par la suite, cette maudite liste qui est le fruit de mes longues recherches, je sens une joie inouïe et un soulagement sans bornes remplir mon corps.

Une douche chaleur parcourt mon être, libérant des frissons qui me font l'effet d'un électrochoc. Vite, j'imprime ce document et, après quelques petites secondes, j'entends le bruit qu'effectue une photocopieuse en cours d'impression. Je fais parcourir le faisceau de ma lampe sur la pièce afin de trouver l'imprimante. Je la voie, m'y rend d'une démarche titubante et récupère le document imprimé.

Grisé par le bonheur et le soulagement, je range les feuilles recouvrant le sol, éteint l'ordinateur et sors de la mairie, me retrouvant seul dans la rue, la température de mon manteau ne suffisant pas à remplacer le froid glacial, avec qui mon corps refait connaissance. J'erre dans le noir et la nuit, ne sachant même plus où aller. Je marche donc sans but précis, juste pour le plaisir sans cette boule au ventre, que la présence insoutenable de la mort provoque, qui me suit habituellement dans tous mes déplacements et qui me détruit lentement de l'intérieur.

Mon enveloppe charnelle se consume peu à peu sous l'ardente insouciance nouvelle qui me ronge l'âme et la glaciale peur pour Calvyn dont l'absence cryogénise mon cœur. Mes yeux me piquent, mes lèvres, tièdes malgré le froid prenant, tremblent et mes jambes semblent avoir oublié comment avancer. Ma démarche se fait lente et je crains de finir par ne plus être capable de bouger, immobile dans le tourbillon de fraîcheur qui m'entoure mais cela m'est égal ; je suis heureux et j'adore cette sensation.

J'ai peur aussi, comme a peur un lépreux aux portes de la mort, et un sentiment étrange, comme une résignation, possède mon corps et le tourmente. Mes pas se font moins convaincants, hésitants, et mes genoux se rouillent. Mes hanches ne se balancent plus, elles restent statiques, raides et mes bras ne remuent plus. Je sens que cela va mal tourner, que je vais inconsciemment finir par m'arrêter me condamnant à périr dans ce froid.

Tout cela à cause de ma joie, le bonheur avait comme quitter mon âme et maintenant mon être tente de le dompter. Il prend possession de mes os et de ma peau et me paralyse. J'essaye de reprendre mes esprits, de me raisonner.

« Hé, Sylkas ! C'est ta conscience qui te parle ! Ça serait bien que tu commences à bouger si tu ne veux pas décéder ! Après, je te dis ça juste comme ça, ne le prends pas au sérieux... »

Ma raison et mon inconscient se battent entre eux, puis mes jambes se réveillent, je parviens à effectuer des mouvements, et une douleur m'envahit. Je crois que je connais l'issue du combat. Mon cerveau se démène afin d'ordonner à mon corps de bouger, mais il ne sait pas, ou plus, comment faire. Je tente de marcher, mais je trébuche et tombe à terre. Ça y est, c'est la fin. Ma joie est devenue assassine.

Alors que j'allais fermer les yeux, en attendant de m'éteindre, je sentis un souffle derrière moi. Mes paupières s'élèvent, je me retourne et aperçoit sa silhouette. Les traits de son visage sont éclairés, il me sourit et me prend dans ses bras.

Mon âme encore ivre de ce doux sentiment qu'est le bonheur, je me laisse faire et finit par sombrer dans son étreinte chaude, ce qui a quelque chose d'agréable.


C'est un secret...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant