Chapitre V : Introspection

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Ce qui devait être deux jours après la visite de mon hôte aux paroles énigmatiques, je me trouve toujours dans mon lit. Je peux à nouveau m'exprimer, même si cela me fait mal. Mon corps est tout autant courbaturé qu'il y a deux jours, et désormais mon cerveau doit l'être aussi.

Effectivement, tout ce temps passé seul, sans Calvyn, n'a été que source de torture psychologique, inquiétude et réflexions. Plus que tout je redoute qu'ils s'en soient pris à mon frère. Plus que tout je pense à Calvyn, à ce qu'il ressent, à comment ils le traitent. Je me demande s'il pense à moi, s'il a peur, s'il a froid.

Désormais, je veux juste m'allonger et m'endormir, juste pour essayer de me rappeler le goût de la détente. Juste pour me sentir sombrer dans le monde brumeux des rêves, me laisser aller et laisser mon mystérieux sauveur s'occuper de moi.

Je me demande ce que fait cet homme, et pourquoi. Pourquoi ne pas m'avoir laisser crever seul dans le froid de la nuit ? Je ne suis pas dupe, je ne commettrai pas la même erreur que mes chers voisins naïfs, je ne mourrai pas comme ça. Cet homme attend quelque chose de moi, et il faut que je trouve quoi afin de ne pas me faire surprendre. Je ne me ferai pas trahir.

J'ai beau être en sécurité ici, je ne me suis jamais senti aussi exposé au danger qu'avant. Des caméras emplissent chaque recoin du plafond, une grille d'où émane un filet d'air chaud émet un grésillement infernal qui malmène mes oreilles. Seul dans un lit à l'odeur de lessive, j'attends tout en continuant de maltraiter mon esprit en pensant à toutes les épreuves que la vie me fait subir. Pour la première fois, je me morfonds sur mon sort.

Les problèmes, la faim, la peur, les clients violents et autoritaires, les menaces, les injures, les coups, tous ces maux qui s'attaquait et s'attaque sans cesse à moi mais s'heurte à ma carapace imaginaire faite de larmes et de blessures. Tous ces maux qui ont fini par la briser, la briser en milliers de petites goutes translucides et rougeâtres.

Et maintenant, je suis là, dans ce lit, dans cette pièce, vulnérable petit être sans défense aux tracas innombrables. Et si finalement, l'abandon était la meilleure des solutions ? Abandonner, tout simplement. Abandonner cette vie, abandonner cette ville, tout abandonner. Se laisser partir doucement, paisiblement, âme quittant son corps, qu'elle soit ange ou démon.

Je plonge, je plonge dans les abîmes sombres de la tristesse en attendant désespérément une visite de mon sauveur. Il faut qu'il revienne, je meurs coincé ici avec mes idées noires comme unique compagnie. Mon être se consume, il faut que je le gèle.

J'entreprends de lire pour la énième fois les feuilles posées près de moi. Je connais leur contenu par cœur, récitant plus que lisant les mots à l'écriture numérique se dressant devant mes yeux. Je pense à tous ces enfants, ces pauvres enfants qui, comme Calvyn, se sont fait enlevés. Je serre ma prise à la vue de la photo d'Aaron, je pleure à celle de Calvyn.

Soixante-huit... Tel est le nombre de victimes qu'on fait ces ordures d'enleveurs. Soixante-huit enfants enlevés, soixante-huit familles endeuillées, soixante-huit mois que cela dure. Je me rappelle la première disparition. C'était celle de Qestia, une gamine banale, des cheveux bruns, toujours arrangés en deux petites tresses, et des yeux d'un noir profond.

Quand sa photo était apparue sur l'écran de ma télévision, elle était accompagnée d'une voix off annonçant la disparition d'une petite fille de 10 ans, deux minutes sa photo emplit ma vision. Elle n'était pas passée plus longtemps, juste une fille comme les autres qu'on a perdu, qu'on retrouvera peut-être, ou pas. Un fait divers, au même titre qu'un chien qui s'est fait écraser ou d'un tragique accident dont les dommages coûteront très chers.

Et maintenant, c'est la photo de Calvyn qui doit être diffusée sur toutes les chaînes d'informations, et elle attire sans doute aussi peu l'intérêt. Même si les ravisseurs sont désormais l'ennemi public n°1, ils ont fait tellement de victimes que s'en est presque devenu redondant. Encore un fait divers parmi tant d'autres.

Voilà mes pensées durant ces deux jours enfermé dans une pièce entièrement blanche, à souffrir presque autant physiquement que mentalement, pauvre légume effondré sur un lit. Elles dérivaient également sur d'autres sujets tout aussi joyeux ; le suicide de Mère Anter, les Jötunn...

Mais ce qui obsédait le plus mon esprit confus durant ces deux jours était une question. Comment faire pour retrouver Calvyn et tuer toutes ces enflures une par une ? Et dieu comme cette question est obsédante ! Elle nous harcèle, moi, mon corps et mon âme, chaque minute dans cette chambre isolée.

Et en deux jours, je n'en ai toujours pas trouvé de réponse. Aucune, aucune solution à cet enfer qui pollue nos vies à tous, presque autant que nous le faisions déjà avant tout cela. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais plus quoi faire.

Alors je relis cette liste, encore et encore, en tentant de trouver un indice sur les ravisseurs, une similarité entre leurs victimes, une indication sur une autre signature que ces enveloppes. Les noms de toutes ces familles brisées s'enlacent et se délacent devant moi, formant de nouveaux mots, en défaisant d'autres. Un brouillon d'écritures se crée et je distingue des phrases, faites avec des lettres que ma vision confuse a prises ici et là.

Et c'est ainsi que cela me parut. La signification de ces enveloppes, le point commun entre les victimes, les paroles étranges de mon hôte. Tout cela est clair désormais. Ces majuscules, les initiales des prénoms, elles forment une phrase !

Mais cette phrase, pour la déchiffrer, il me faut toutes les initiales, les récupérer, les mêler et lire ce qu'elles feront apparaître ! Enfin, j'entrevois une possibilité, la possibilité de comprendre ces sala*ds, de comprendre pourquoi ils font ça et ce que veulent dire toutes ces disparitions, à quel message elles ont abouti.

Cependant, pour que cela soit possible, il faudrait déjà que la phrase soit terminée, et si cela n'est pas le cas, ça signifie qu'il y aura d'autres victimes. Et ça signifie également que devrai me retrouver à espérer et attendre les disparitions... Je me retrouverai à me réjouir d'un crime.

Malgré cette découverte, qui se relève plus être une mise en évidence qu'une véritable révélation, je me rends compte qu'au final, c'est quand même retour à la case départ pour moi. En effet, si je ne peux pas découvrir cette phrase qu'en attendant la fin de tous ces crimes, je ne peux pas avancer et mes recherches pour retrouver Calvyn seront vaines.

Et puis, même si cette liste de noms est utile, c'est celle des noms des familles de victimes, je n'ai pas les prénoms des victimes, seulement leur nom. Mon escapade criminelle nocturne n'a donc pas abouti à un résultat permettant à faire avancer les choses.

Finalement, mes blessures et mes faiblesses sont les conséquences futiles et ridicules d'un vol de nuit effectué dans mes pensées comme l'acte héroïque qui sauvera Calvyn mais qui n'était qu'une simple intrusion qui ne m'a apporté plus de malheur que de bonheur.

Et dans ces raisonnements sombres mais réalistes, une voix peut-être familière à la résonnance faite de grésillements résonna.

« Demande permission d'entrer. Acquiescez si vous l'accorder »


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⏰ Dernière mise à jour : Aug 27, 2018 ⏰

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