Chapitre 1

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​7h58. Vivianne coupa le contact et descendit de sa voiture. Elle referma les pans de son manteau sur elle et enfouit son nez dans l'épaisse écharpe blanche qu'elle portait ce jour-là.
Le vent froid d'un matin de Janvier lui giflait le visage, mais elle prenait son temps pour se rendre en salle des professeurs. De toute façon, elle était en avance. Comme chaque matin.

​Même après quinze ans de carrière, elle ne parvenait pas à comprendre ses collègues qui arrivaient à la sonnerie et allaient directement rejoindre leurs élèves en classe.
Vivianne, elle, ne pouvait pas se passer de ces quelques minutes de préparation avant de monter sur scène. Comme une comédienne, elle prenait le temps de mettre son costume et de vérifier chaque détail avant sa représentation.
​Une fois le masque enfilé et le déguisement ajusté, elle sortait toujours prendre une dernière bouffée d'air frais et de tabac avant le spectacle, profitant de ce moment pour faire un point sur les heures qui l'attendaient.

Juliette avait l'air triste l'autre jour, il ne faut pas que j'oublie de lui en parler. Est-ce que je les laisse continuer l'exercice d'écriture d'hier ou est-ce que j'aborde Voltaire dès aujourd'hui ? Je dois absolument voir Agathe et répondre à sa question de lundi sur Agamemnon.

Elle essayait de penser à tout. Chaque élève était important et elle ne voulait pas trahir la confiance, parfois aveugle et absolue, qu'ils plaçaient en elle. Elle se devait d'être à la hauteur.

​La sonnerie retentit, tirant brusquement Vivianne de ses pensées. Elle écrasa sa cigarette et monta les trois étages qui la séparaient de sa salle d'un pas léger et énergique.

C'est reparti pour une journée ! pensa-t-elle en poussant la lourde porte à double battants du couloir.

Ses Terminales l'attendaient, plus ou moins rangés devant la porte de sa classe, plus ou moins silencieux, plus ou moins calmes. Elle posa un regard affectueux sur le groupe désordonné et les fit entrer dans la salle.
Cinq mois après la rentrée, elle savait exactement maintenant qui se tenait en face d'elle et, après quinze ans de spectacle, elle savait parfaitement quoi faire de ce public. Les élèves se turent peu à peu et le brouhaha ambiant fit place au silence. Les trois coups de bâton. Le lever du rideau.



Marion n'avait pas détaché ses yeux de cette femme depuis l'instant où elle avait pénétré son champ de vision. Son cœur s'était emballé en voyant la porte du couloir s'ouvrir au loin et, comme chaque matin, elle avait savouré ce moment, cette petite minute où elle pouvait la regarder avancer vers elle en toute impunité.

Elle essayait de graver chaque image dans sa tête. Le balancement de ses hanches, son sourire, son regard affectueux qui l'enveloppait comme une couverture, son odeur de cigarette. C'était le moment de la journée qu'elle préférait.

​Vivianne leur ouvrit la porte et la jeune fille fila s'asseoir à sa place, troisième rangée à côté du mur, place stratégique pour bien voir sans être vue.

Ne pas se faire voir. Ne pas se faire remarquer. Rien ne lui faisait plus horreur. Elle ne supportait pas qu'on la regarde, qu'on la pointe du doigt, qu'on la sorte du rang. Elle n'aspirait à rien d'autre qu'à la tranquillité.

Devenir invisible et se fondre dans la masse jusqu'à disparaitre. Bien évidemment, elle avait des amies dans ce lycée, des personnes de confiance, des bras réconfortants, des oreilles attentives mais malgré tout, le sourire des autres semblait toujours moqueur.

Le silence se fit et Marion sut qu'il était l'heure pour Vivianne de commencer son cours. Elle ne pouvait pas penser à elle en tant que Madame Grangé, son professeur de français.
C'était Vivianne. Sa Vivianne. La femme qui hantait ses nuits et lui faisait perdre la raison depuis cinq mois déjà.

Teach me / Vivianne (SOUS CONTRAT D'ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant