Collision

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Il se redresse, le dos courbé, fatigué, nu. Les épaules dévêtues face à l'air frais. Les cheveux couleur charbon. Les os saillants, la peau froide, tendue, meurtrie. En silence, ses muscles alanguis s'animent ; et dans une coordination complète, parfaite, longuement, son échine se grandie. Il s'assoit en tailleur, se lève d'un seul élan, sans difficultés, dans un mouvement fluide et maîtrisé. Une rigueur d'élégance sculptée dans la silhouette droite du jeune homme. Une connaissance oubliée de lui-même dissimulée par l'apparente facilité gestuelle, de souplesse, de beauté. L'invité, toujours au sol, distingue à travers ses cils son vis-à-vis, grand, fort, mutilé. Sa colonne vertébrale qui s'allonge, ses muscles qui s'étirent sous sa peau où se projette la ville entière dans ses lumières pourpres. Éclaboussé par la pénombre outremer, il regarde ce corps se déplacer, sa peau se mouvoir, ses omoplates bouger. Il dévore cette silhouette élancée de son regard impassible, trouve dans cet homme usé une prouesse, un être majestueux, sublime. Quelque chose de vrai, de simple, dans ces jambes longues et abruptes, ce bassin étroit, ces fesses rondes, dans ce dos blanc, ces épaules maigres, ces coudes cassants, une beauté originelle dans ses hanches amaigries, ses clavicules fuselées et ce corps éprouvé, saillant, vivant. Dans les yeux de Hoseok, chaque détail devient parfait. Chaque chose, chaque élément frôle cette harmonie d'absolu. Tout lui plait dans ce corps abîmé. Il voit un homme comme il n'en a jamais vu.

Grand, de dos, debout, Taehyung l'observe à son tour dans un coup d'œil furtif. Hoseok distingue dans l'obscurité le tracé du profil de son hôte, de sa mâchoire, son menton, jusqu'à ses lèvres discrètes en passant par son nez effilé, ses cils incurvés, arachnéens. Dans un bruissement, il se dégage des draps froissés et se lève du matelas sur lequel il était étendu. C'est avec peine qu'il suit l'homme qui l'a recueilli, atrophié, courbaturé. Pieds nus sur le carrelage, il se déplace, vacillant. Le ventre crispé, vide, noué par l'aigreur des heures passées, alors qu'un sentiment nouveau anime déjà ses entrailles. Bercé dans la quiétude anonyme d'un lieu serein, rassuré par la douceur d'un étranger, au fond de lui ne sommeille aucun tourment. Aucune préoccupation n'obscurcit ses pensées dans lesquelles raisonne un silence insolite. Hoseok s'adosse momentanément contre le mur, à l'entrée de la chambre, là où l'austérité a repris ses droits, où les gongs tournent dans le vide. Il suit du regard son hôte traverser la pénombre du couloir, et contemple encore la poésie qui jaillit de ce corps, l'aura de cet être nu, pourtant énigmatique. D'un charisme ignoré, il émane un charme ineffable, emplit de sensualité, presque lyrique. Sa silhouette s'effrite parmi le clair-obscur, et derrière elle, le désert d'un couloir solitaire. Mirage halluciné. Captif du disparu qui le fascine, Hoseok s'élance à sa suite. Quelques mèches s'échappent de son chignon ébouriffé, sourds palpitements sous ses tympans, dans son poitrail les pulsations de ses talons contre la terre. Des boucles paniquées encadrent son visage auburn. Une poignée d'enjambées suffisent à rejoindre le puits de lumière lunaire dans lequel l'ombre humaine s'est assombrie. Le nouveau venu ne détaille pas le nouvel univers qui s'offre à ses sens, il ne remarque ni l'espace vacant de la vaste pièce à vivre, ni l'apparente richesse des lieux. S'écoule uniquement le soulagement dans ses veines lorsqu'il l'aperçoit. Il est là, debout, à la portée des vents. Rien ne compte, rien d'autre que l'instant, rien d'autre que l'homme. Prospère ou misérable, dans l'univers d'Aphrodite, il n'importe peu. Un vêtement aux hanches, perché sur la terrasse de l'appartement, il se dessine dans le demi-jour. Hoseok enjambe la porte vitrée ouverte, le son de ses pas s'arrête à l'extérieur. Caresse volatile. Dos à lui, accoudé à la rambarde métallique, Taehyung se courbe, attrape le verre d'une bouteille, se retourne, et tend la boisson. Le malt d'orge titille les papilles. Pupilles sombres qui pétillent, plongées dans ses iris noirs. Il s'accoude à son tour timidement contre la rambarde, à côté de Taehyung, la paume frissonnante au contact du verre glacial. Cette rencontre irréelle vole dans ses pensées comme un rêve. Le regard d'Hoseok dévie vers son hôte, mais il ne voit pas simplement Taehyung, il le regarde, le regarde vraiment, de tout ses yeux ; la vue de ce dernier suspendue au loin. Gorgée âpre. Hoseok examine les mains qui l'on soutenu quelques heures plus tôt, ses doigts sveltes, élégants, ses ongles naturels, et toujours cette sensation de beauté. L'os de son poignet entouré d'un simple bracelet de fil vermeil, et ses veines qui arpentent ses bras. Stigmates sur une peau lézardée. Taehyung attrape un paquet de nicotine laissé dans l'hostilité de l'hiver. Inchangées, immortelles, les choses semblent n'avoir ni début ni fin. Tous deux ressentent le froid. La nature. Mordante, le long de leurs peaux, poignante contre leurs rétines. Et ils respirent pleinement, se comblent de l'atmosphère ; leurs poumons désaltérés d'oxygène. Ils ressentent l'éphémère, le temps, la mort, ils s'éprouvent, vivants, dans un instant suspendu, éperdus. Écoutent la ville ivre d'effervescence. L'Aube hilare d'insomnies. Et l'astre solaire pointe sur l'horizon embrasé dans une cacophonie de couleurs. Quand les un commencent une nouvelle journée, les autres terminent une nuit agitée ; et les Hommes continuent de danser. De ces deux adultes, isolés du monde, naît une connivence. Ils observent les Humains, les connaissent, les reconnaissent, sans se connaitre eux-même. Une complicité qui ne demande rien, inopinée, folle et libre d'évidence subsiste entre ces deux êtres. Leur regards se cherchent, se rencontrent et s'attrapent dans le reflet de leurs iris. Leurs peaux s'emparent l'une de l'autre autant que leurs yeux ne s'agrippent. Et dans l'embrasure de leurs lèvres qui s'embrassent, s'évanouit un nuage de buée pareil à la douceur d'une caresse. La tiédeur aérienne dévale en cascade le long des corps, emportée parmi les souffles sibériens des cieux bleus. Ils s'enlacent, s'embrassent, s'apprennent et s'éprennent au cœur d'une multitude de teintes célestes, au rythme des dégradés cosmiques. La nuit s'envole, assoupie, dans les rayons tièdes et solaires, dans les vents croquants et furieux, dans les airs et dans le ciel, allumant à flots et à foison les rétines éblouies des deux hommes radieux d'amour.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 10, 2019 ⏰

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Trente-septième Étage ㅣ TαҽHσρҽOù les histoires vivent. Découvrez maintenant