- Tickets ! Show me your tickets !
J'ai sursauté bien sûr. La plupart des étrangers nous ignorent, et les spécimens se permettant de nous agresser dès la première parole restent rares.
Tout le monde nous regardait à présent. Mon petit frère étreignit ma main de plus belle, et ma mère me lança un regard inquiet.
- Quel est le problème ? dit-elle.
- Do you know tickets ? Do you even speak english ? aboya le policier.
Je fermai les yeux un instant, pour oublier ce cœur qui tremble,rassembler mon courage, et enfin dévisager ce colosse à mon tour.
- Here they are, Sir. Two adults, one child.
Il m'arracha les billets des doigts et les tendit à son collègue, son parfait sosie, la calvitie en option. Celui-ci les étudia avec un grand luxe de précaution, déformant le carton la mine insatisfaite,examinant mes empreintes digitales sur la bande magnétique,s'écarquillant les yeux sur le moindre trait d'encre imparfait.
Mais il s'imaginent quoi ces types ? Que nous avons suffisamment d'argent pour contrefaire un billet ? C'est encore plus cher que d'en acheter un vrai !
Avec ce pouvoir, j'aurais déjà écrit ma nouvelle vie en faux papiers,et brulé sans le moindre regret mon ancienne identité. Je franchirais la mer, sous la terre, par les airs ou en travers...
- Dunkerque ? demanda le chauve.
J'acquiesçai. Les deux s'échangèrent des sourires narquois, agrémentés de quelques mots de français, puis me rendirent les tickets.
- Don't cause any more troubles here, nous ordonnèrent-ils.
Ouvrant une prévisible parenthèse, le silence envahit l'atmosphère. Il y établit sa dictature et abolit l'existence même du temps. C'était sans compter sur l'acte révolutionnaire d'un anarchiste d'une quarantaine d'année, barbe taillée et écharpe nouée, qui fit bruisser le papier de son journal économique. Le petit peuple avait trouvé son leader charismatique, et la république du brouhaha fut rapidement rétablie au soulagement de tous.
L'attention ayant enfin cessée d'avoir un centre, ma mère en profita pour se pencher vers moi :
- Ils ne reviendront pas ? chuchota-t-elle.
- Non, je ne crois pas. Nous sommes en règles, et il y a plein d'autres migrants dans ce train. Ils ont autre chose à faire que des allers-retours entre les wagons.
- OK, mais restons discrets.
- Zakiyah, murmura une petite voix, tu peux me faire un câlin ?
Hamzah avait relâché la pression sur ma main, mais je pouvais toujours sentir les battements de son petit cœur ébranler sa paume,raisonner dans la mienne. Je hissai mon sac sur le siège en face pour libérer un peu d'espace afin que mon petit frère puisse s'installer sur mes genoux. Il ne pesait pas bien lourd, certainement pas assez pour un garçon de 9 ans. Je l'ai tendrement enlacé, comme les enfants rêvent de l'être par leur ours en peluche préféré.Même si je doute que mon manteau meurtri puisse rappeler à quiconque la douceur d'une fourrure imaginaire. Mais je crois que Hamzah n'en a que faire, sinon il ne le serrerait pas aussi fort.
Son ventre gronde ; le mien lui fait aussitôt écho. Difficile de se retenir quand la plupart des gens autour de vous mangent des sucreries aux gouts dont vous n'avez même pas idée.
(Je posterais la suite du chapitre si je vois des lecteurs s'aventurer jusqu'ici)
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Les ailes artificielles
AdventureZakiyah rêve d'Angleterre, Allan de savoir quoi faire. Elle ne parle pas français et lui ne parle pas beaucoup. Ils étaient dans le même wagon le jour de l'attentat.