8 : Soirée boulimique

735 91 35
                                    

Certains jours sont plus difficiles à surmonter que d'autres, et ça n'a jamais embêté Théo parce qu'il considère que c'est le risque que l'on prend en acceptant les conditions d'usage de la vie (et surtout de l'adolescence). Néanmoins, les trois dernières semaines du mois de janvier- et par conséquent presque la totalité de ce premier mois- furent une réelle descente aux Enfers pour lui. Jamais encore il n'avait ressenti un tel mal de vivre durant autant de journées consécutives, sans compter les vacances d'été qui ont suivi le suicide de Kurt. D'ailleurs, cet évènement joue un rôle clé dans son mal-être de début d'année, et ce principalement depuis que Pétunia a fait remarquer à la joyeuse troupe d'adolescents que le jeune homme s'est tiré une balle dans la tempe il y a maintenant une demi-année. Elle est toujours présente pour inconsciemment faire souffrir son entourage, pensa Théo sans pour autant le déclarer haut et fort. Une semaine plutôt, elle lui avouait avoir rendu son baiser parce qu'elle ressentait un manque d'affection, surtout après avoir échangé une relation intime avec Kurt le mois précédant sa mort, et maintenant, elle se permet de rappeler à tout le monde la date du suicide de leur ami.

Comment Théo peut-il être aussi attiré et attaché à cette fille ? Plus le temps passe, plus il la trouve jolie, mais moins il comprend d'où lui vient l'affection qu'il lui porte. Enfin, ils sont amis depuis maintenant quelques années, et ont traversé un bon nombre d'évènements ensemble- des joyeux comme des dramatiques-, mais à chaque fois, elle parvient à se révéler encore plus égoïste qu'elle ne l'était déjà dans le passé. Pourtant, c'était comme si, malgré le fait qu'il s'en rende compte, Théo soit incapable de se détacher de l'image de la lycéenne parfaite qu'il ressent à son égard depuis le début de leur amitié.

Outre cette remise en question de la part du jeune garçon, le départ de son frère aîné pour le continent américain a également eu des conséquences négatives sur son état d'esprit. Bien que Ruben soit à l'université depuis deux ans et par conséquent dans la maison familiale uniquement les week-ends, il reste tout de même le compagnon de bataille le plus fidèle que Théo n'a jamais eu. C'est pourquoi ce dernier n'a pu s'empêcher de ressentir ce départ comme une déchirure sans anesthésie. Il sait parfaitement que Ruben n'a pas décidé de quitter l'Europe pour engendrer de la tristesse dans l'esprit de ses proches ; il a eu l'occasion de finaliser une partie de ses études dans une université outre-Atlantique et n'aurait pas pu refuser une expérience pareille. Pourtant, le frère cadet est incapable de ressentir autre chose qu'une énorme solitude (dévastatrice, qui plus est) face à cet Erasmus aux Etats-Unis.

Malgré toutes ces choses qui ne lui donnent aucune envie de se lever le matin, Théo fait de son mieux pour garder la tête haute et cacher son mal-être, surtout auprès de ses parents. Ces derniers ont également du mal à avaler le départ de leur fils aîné et n'ont donc aucune envie de devoir faire face à une potentielle déprime saisonnière de la part de leur deuxième garçon. Et puis, Théo déteste avoir l'air déprimé et partager son ressenti des choses. Il est du genre discret, surtout au niveau de ses sentiments. Il préfère laisser la tristesse le bouffer de l'intérieur plutôt qu'un de ses meilleurs amis sache qu'il ne va pas bien. Et puis, quand il y pense, il ne se sentirait pas légitime de partager son malaise intérieur à ses amis : Léopold a des problèmes avec la drogue, Régina a des pensées suicidaires et Constance se bat contre ses troubles alimentaires. Il n'a pas le droit d'aller pleurnicher sur leurs épaules sous prétexte qu'il s'est fait jeter (sans grande surprise) par la plus belle fille de son entourage et que son grand frère adoré soit parti aux Etats-Unis pour une demi-année. L'une des seules raisons à propos de laquelle il pourrait se plaindre de manière légitime est le suicide de son meilleur ami et le manque que cela engendre, mais il n'est définitivement pas le seul à ressentir ce vide autour de lui depuis six mois. Donc Théo garde tout pour lui et fait tout son possible pour arborer un sourire convaincant.

Parle-moi, AnatoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant