épisode 1

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J'ai tout essayé et je suis pourtant encore loin du compte. Trois jours que je ne quitte plus mon salon ou presque. Je vous rassure, la salle de bain, la cuisine et mon lit reçoivent tout de même occasionnellement ma visite. Avec toute cette effervescence, mon bureau est un véritable décor d'apocalypse dans lequel une chatte aurait les pires difficultés à retrouver ses jeunes. Heureusement, je n'attends aucune visite et je ne possède pas de félin attachant qui soit sur le point d'accoucher.

Il ne me reste plus que quelques heures pour atteindre l'objectif que je me suis fixé. Je manque de sommeil mais, si je m'arrête maintenant, j'ai peur de baisser les bras et d'échouer. Je n'ai vraiment pas envie d'avoir passé des heures à chercher des idées pour finalement ne rien sortir de bon à envoyer à ce concours d'écriture.

Mon stock de boissons énergisantes est vide. Dans un sens, c'est une bonne chose. Abuser de ce genre de breuvage n'est peut-être pas très indiqué pour la santé. Si je me retrouvais hospitalisée pour intoxication, mes dernières chances de réussite seraient mortes et enterrées. Déjà que j'ai pris quelques risques en réalisant des mélanges peu orthodoxes. En effet, je ne suis pas certaine que mon médecin approuverait mes cocktails à base de boisson aux reflets bleutés – celle qui vous envoie soi-disant dans les airs – agrémentés de pastilles effervescentes multivitaminées. N'essayez surtout pas. J'ai cru devenir fluorescente le jour où j'ai essayé et je n'ai pas fermé l'œil pendant trente-six heures. Je ne vous raconte même pas ma tête après. Si j'avais dû passer un contrôle anti-dopage, j'aurais probablement échoué. « Mélanie, on ne joue pas avec sa santé » qu'il me dirait, le doc !

De toute manière, le tube de vitamines est vide, lui aussi.

J'ai un début de migraine bien légitime. Cela fait des heures que je suis plongée dans mes feuilles et sur l'écran de mon ordinateur portable. Il me reste des comprimés pour les maux de tête mais, tant que possible, je préfère m'en passer. D'ailleurs, il faut que je ne me décide à aller m'oxygéner quelques minutes. Dans le cas contraire, je ne pourrai plus éviter très longtemps la prise d'un antidouleur. Je dois prendre le risque de faire une dernière pause. Qui sait, peut-être sera-t-elle salvatrice ?

Je vérifie qu'il me reste suffisamment de feuilles vierges, que mes feutres fonctionnent toujours et que le correcteur fluide n'est pas sur le point d'être à sec. Au bruit que ce dernier fait quand je le secoue, la panne sèche est imminente... Quant à mon stylo... Au secours, la dernière cartouche ne contient plus, à vue d'œil, que deux millimètres d'encre. J'ai mes habitudes, pour ne pas dire mes manies et travailler avec un stylo en fait partie. Je vais devoir sortir ravitailler. Moi qui espérais me contenter d'un simple quart d'heure d'oxygénation sur la terrasse, c'est raté.

Je jette un coup d'œil dans le miroir et me rends immédiatement compte qu'il est impossible de me rendre à la librairie dans cet état. Je ferais probablement sensation avec mon training passablement usé, mes cheveux légèrement gras et aucun maquillage pour rehausser mon teint. Je préfère éviter de me balader ainsi en pleine rue ! Je connais trop de monde dans le quartier. Direction la douche. Elle va peut-être me rafraîchir les idées ?

La tuyauterie fait un bruit étrange. On croirait entendre les gargouillis du ventre de Greg, mon ex, en trois fois pire. Quatre mois que l'on s'est séparé. Il trouvait que je travaillais trop. Je soupçonne que cet argument très subjectif tienne plutôt du prétexte. Deux jours après notre rupture avec consentement mutuel, ce pauvre type sortait déjà avec une affriolante bimbo. Je le sais car il diffuse tout en mode public sur sa page Facebook. Tant mieux pour lui s'il préfère se payer le croisement entre Nabilla et Pamela Anderson (c'est du lourd comme références, je sais) plutôt qu'une digne représentante du tout naturel. Maintenant, ce n'est pas faux non plus que j'aime beaucoup mon taf à la bibliothèque. Il faut avouer que le travail et lui, cela fait deux. Il ne lui viendrait jamais à l'idée d'opter pour un extra en dehors de son horaire. Alors, moi qui ai plaisir à relever les défis que l'on me les propose, simplement par passion, il n'a jamais pu comprendre.

Ecrire, j'adore. D'habitude, j'ai moins de mal qu'aujourd'hui. Je n'ai jamais passé trois jours à ramer de la sorte. S'il me voyait, j'aurais droit à un commentaire perplexe et cassant. J'ai vraiment bien fait de couper les ponts. De toute manière, même s'il me faut utiliser les pétales d'une marguerite pour m'en assurer, je finirai bien par trouver un homme qui apprécie mon investissement dans mon boulot et mes passe-temps. Pour autant, ne croyez pas que je ne sache pas m'amuser autrement qu'en bossant ou en écrivant !


J'hésite ou je tente ma chance ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant