Lui

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Il est assis au fond de la taverne. La serveuse lui a plusieurs fois resservi de la bière. A chaque fois il lui a jeté des pièces en ne prenant pas la peine de la regarder. Un rideau de cheveux bruns lui barre le visage. Cela lui donne un air encore plus mystérieux. Quand il souffle bruyamment, certaines mèches se soulèvent dévoilant un grand nez. Une cicatrice le traverse. Ses doigts serrent son verre. Des bagues les ornent. Il se tient vouter mais on devine qu'une chaine pend autour de son cou. Un manteau est posé sur la table. Malgré la chaleur, il la revêt tout le temps. Sa chemise bordeaux a pris une teinte plus marron avec les années mais il la porte toujours aussi bien. Des bracelets de cuir permettent de retenir les manches. Il avale une nouvelle gorgée de bière. Il penche la tête en arrière. Le liquide descend dans sa gorge, sa pomme d'Adam fait un allé retour. Il a une barbe sombre et éparse. Elle ne prend pas toutes ses joues mais seulement le bas de sa mâchoire. Il essuie la mousse accrochée à sa moustache du revers de la main. Il est assis depuis plus d'une heure. Personne ne l'aborde. Personne ne l'aborde hormis la serveuse. Il est toujours seul quand il vient à la taverne et il repart toujours seul. Sous son manteau est caché son sabre. Il le possède depuis quelques années maintenant. Il a connu tellement de batailles et de sangs. Il passe une main dans ses cheveux dégageant ainsi son visage. Ses cheveux sont gras. Des yeux ambrés filtrent la salle. Ils sont encadrés de cils aussi foncés que ses cheveux et font ressortir encore plus ses yeux. On dit qu'il a tué plusieurs hommes avec eux. On dit que les femmes tombent dans ses bras avec eux. On dit beaucoup de choses sur lui mais personne ne sait vraiment si elles sont vraies. Il ne va jamais au bordel. Il ne s'arrête jamais devant, il ne fait que passer, le regard ancré sur l'horizon. Quand il marche, les gens s'écartent. Il dégage une aura qui terrifie mais qui attire. Quand il passe près de vous, il vous pétrifie mais vous le l'oubliez pas. Des années plus tard, vous entendrez encore le bruit de ses pas sur le sol, le bruissement de son manteau, la musique métallique du fourreau contre son pistolet. Il fait cet effet-là. Il ne s'incommode pas d'un chapeau. Autrefois il en avait un mais c'était il y longtemps maintenant. Il sort une pipe et un sachet de tabac. Il la bourre et l'allume avec une allumette qu'il craque sur la table. Le rougeoiement du tabac qui brûle éclaire son visage buriné. Plusieurs cicatrices lui barrent la figure. Chacune raconte quelque chose. Certaines qu'il voudrait oublier d'autres dont il est fier. Deux sourcils épais et sombres se froncent. Il recrache la fumée. Son visage disparait un instant. Il finit son verre puis le retourne. La pipe repose entre ses lèvres lorsqu'il se lève. Il va quitter les lieux. Une large ceinture de cuir marron entoure sa taille. Il soulève son manteau pour dévoiler ses armes. Il les attache autour de ses hanches. Il prend son temps. Peut-être que la bière commence à le taper ou peut-être qu'il prend son temps tout simplement. Il attrape son manteau mais ne le met pas encore. Il attendra d'être dehors. Les talons de ses bottes claques sur le parquet de la taverne. Deux hommes s'écartent pour le laisser passer. Ils le saluent en portant deux doigts à leur chapeau et en inclinant légèrement la tête. C'est un homme respecté. Il passe d'abord le bras droit dans la manche avant de passer le bras gauche. D'un mouvement d'épaules, il ajuste son manteau. Des cris de femmes envahissent la rue. Les prostituées veulent l'attirer. Il ne leur accorde pas un seul regard. Pourtant il y en a des jolies. Une blonde dévoile une jambe pâle sans aucune attaque du soleil. Elle a remonté les pans de sa jupe à sa ceinture. Une chemise blanche trop grande pour elle découvre ses épaules délicates et un décolleté qu'on aimerait toucher. Elle a un bras replié dont la main agite un éventail rouge. L'autre repose sur sa hanche. Ses lèvres sont rosées naturellement. C'est une beauté naturelle. Elle attire le regard. On dit qu'elle est vierge. On dit que ses clients ne la paie que pour l'observer. La main libre dégage son cou blanc de ses cheveux ondulés. Si elle a chaud, seul l'éventail qui s'agite devant elle l'informe. Cependant, il ne lui accorde aucun regard. Il s'avance dans la rue. Le ciel est dégagé et le soleil frappe durement. Lui, contrairement à elle, sue. Son front ruisselle pourtant il porte un manteau, un pantalon noir et des bottes de cuir. Son pas est plus rapide. Il se tient droit et une main repose sur le pommeau de son arme. La plage n'est qu'à quelques mètres. On peut déjà ressentir son agitation. C'est là que les nouveaux arrivants établissent leur campement. Des tentes envahissent les lieux. Les hommes s'activent. Certains roulent des fûts sur le sable, d'autres transportent des sacs de marchandises. Les comptables inscrivent le butin des équipages dans de gros registres. Bientôt tout sera échangé ou vendu. Lui, il rejoint sa tente. Elle est petite mais il ne la partage avec personne. Une fois à l'intérieur, il s'occupe. Je ne sais pas ce qu'il fait. Je ne l'ai pas suivi jusque dans sa tente. Je suis seulement à l'entrée de la plage. Je ne sais pas s'il m'a remarqué. Sans doute, il est assez observateur. Il est ici depuis une semaine déjà. Son bateau domine la baie. Il va sans doute rester un petit moment encore. Son dernier voyage a duré un peu plus de six mois. Je ne pensais pas le revoir un jour. Personne n'avait des nouvelles de lui. Puis un matin nous l'avons vu ancré. Il était de retour, la cale chargée de trésors et un équipage qui avait légèrement changé. Durant les abordages, beaucoup meurt mais ils sont vite remplacés par les prisonniers ne désirant pas se faire égorger ou transpercer la poitrine. Il a ramené tellement de choses qu'ils n'ont pas fini de tout ramener à terre. Je vois cet équipage dont j'ai envie de faire partie. Mais qui veut d'un mousse ? J'ai eu beaucoup de mal à me faire engager sur un navire alors quelle chance ai-je pour naviguer sur un bâtiment pareil. Je soupire et passe une main dans mes cheveux. Ils sont sales. Je ne me suis pas lavé depuis deux semaines. Aucun bain d'eau douce depuis quinze jours. Je rêve d'un savon et d'eau fraîche. L'eau salée me tire la peau et mes cheveux sont poisseux. Je m'assois à l'ombre d'un palmier. J'ai vu sur la tente de l'homme que j'observe depuis son retour. Mon capitaine m'a chargé d'une mission. Si je la réussis, il m'a promis de me nommer matelot. Je dois lui faire un rapport de ses journées : ce qu'il fait, avec qui il s'entretient, quand il informe ses hommes. Je n'ai pas eu de nuits complètes depuis un moment mais je tiens à voir la fin de ma formation. Il ne sort pas de sa tente alors j'en profite pour voler quelque chose à me mettre sous la dent. La chaleur abrutit les gars. Ils ne me voient pas leur prendre des fruits de mer et du pain. Ce soir j'ai de la chance. Je passe discrètement devant sa tente. La nuit est tombée, il a allumé ses bougies. Il est donc encore à l'intérieur. Je me demande ce qu'il fait. Je rejoins mon poste d'observation et mange mon festin. J'ai même réussi à dérober une bouteille d'eau douce. C'est rare par ici. L'orange que je mange pour finir mon repas est juteuse. Il y a de l'agitation dans mon champ de vision. Il sort enfin. Il appelle dix de ses hommes. Je m'approche aussi. Il leur demande de rejoindre le bateau et d'échanger leur place avec d'autres et d'emporter de la marchandise avec eux. Il tient dans sa main un petit sac de toile. Il la serre contre lui. Ce doit être important. Ses hommes partent mais au lieu de rejoindre sa tente il observe la plage. Je prends un air occupé. Je regarde au-dessus de l'épaule d'un homme. Il discute de choses et d'autres avec un petit groupe. Il finit par me chasser. Cela tombe bien puisque mon homme vient de me tourner le dos. Je le suis à une certaine distance. Il prend la direction du cimetière de bateau. Il n'y a jamais personne là-bas. Je tiens quelque chose. Il va rencontrer quelqu'un d'important. Cette personne détient peut-être une carte, une information sur un trésor. Plus il marche, plus le nombre de personne réduit. Je suis obligé de ma cacher pour le suivre. Nous arrivons enfin au cimetière de bateaux. C'est un endroit magnifique le jour mais la nuit c'est terrifiant. Les carcasses des navires adoptent une allure plus terrifiante que majestueuse. Je l'ai perdu de vue. Merde. Je l'ai perdu de vue. C'est très mauvais. J'accélère le pas pour tenter de le rattraper mais je ne le vois nulle part. Je tourne et me retourne. Il n'est plus là, je l'ai perdu. Je sens quelque chose me piquer le cou. Je porte la main à ce niveau-là pour chasser ce qui me gêne. Je rencontre quelque chose de froid. C'est tranchant, si je glisse la main je vais me la couper. « Qui es-tu ? » fait une voix grave et à peine articulée. Un frisson ma parcourt l'échine. « Ne me tuez pas. » je lui réponds. Je n'ai pas vraiment envie de mourir maintenant comme simple mousse sur un petit navire de marchand. « Pas avant de m'avoir dit qui tu es et pourquoi tu me suis ». Il presse un peu plus la lame contre mon cou. Il n'a pas la voix que je m'étais imaginée. Elle est tellement mieux. Elle colle parfaitement au personnage. « Si je suis sûr de ne pas mourir je vous dis tout ». Je veux paraitre sûr de moi mais au fond je ne suis pas du tout rassuré. C'est la première fois que je me retrouve dans cette position. « Tout dépendra de ce que tu me diras. –Dans ce cas, autant en finir tout de suite mais vous ne saurais jamais pourquoi je vous suis ni qui m'embauche. –Ne joue pas à ce jeu gamin. –Je ne suis plus un gamin. –Ton nom ». Sa voix est ferme. Il est passé derrière moi. S'il bouge le bras, il m'égorge. Je sens sont haleine chargée contre mon oreille. « Jamie. –Qui t'emploie ? –Vous allez me tuer. –Qui t'emploie ? –L'homme pour qui je travaille habituellement ». La lame appuie un peu plus contre ma gorge. « Ok, ok. –Dis-moi et j'envisagerai de t'épargner. –Monsieur Sullivan m'emploie pour vous filer tout le temps. Je ne sais pas ce qu'il compte faire des informations que je lui rapporte. » La lame se retire. Il ne va pas me tuer mais je sens que quelque chose cloche. « Vous n'allez pas me tuer. Qu'allez-vous faire ? –Dire à tous les capitaines et en particulier le vôtre que vous n'êtes pas digne de confiance. –Quoi ! Ne dite rien à personne. –C'est mieux que la mort. –Personne ne voudrait m'embaucher et je ne deviendrais jamais matelot. –T'es encore qu'un gamin. –S'il vous plaît, ne dite rien à personne. Je ferais ce que vous voudrez. Je pourrais espionner pour vous, je pourrais voler des informations importantes pour vous. –Tout ce que je veux ? –Oui. –Dans ce cas, baisse ton pantalon et appuie tes mains contre le rocher. –Pardon ? » J'ai les oreilles qui sifflent, j'ai extrêmement chaud, je ne peux plus bouger. Il me regarde le plus sérieusement du monde. Son poignard est toujours sorti et dans quelques instants une autre chose sera sortie. Si je le laisse faire, je vivrai et je pourrai réaliser mon rêve. Peut-être même que je pourrais rejoindre son équipage. Je rêve un peu, ça ne fait pas de mal. D'une main tremblante je commence à déboutonner mon pantalon. Je suis mort de honte. « Tu le fais vraiment en plus. » Je me stoppe. Il rigolait. Je le vois maintenant, son sourire. Ses dents parfaites scintillent. Il range sa lame et me tapote l'épaule. Puis j'entends son rire. Il n'a pas un rire d'ivrogne. Il est doux et harmonieux. Il passe une main dans ses cheveux. Je connais ce geste par cœur. Je remets convenablement ma culotte tout en essayant de cacher ma honte. « Tu allais vraiment le faire. –J'étais prêt à tout. –Tu vas espionner pour moi et dérober pour moi. Tu travailles pour moi désormais mais Sullivan doit continuer de penser que tu travailles pour lui. Ce capitaine veut ma peau depuis un moment. Toutes ses informations importantes me reviennent. N'hésite pas à mentir sur mes actions. Mets-lui en tête que je prépare une expédition. Tu es désormais matelot. Maintenant dégage. –Oui mon Capitaine. » Mon cœur tambourine dans ma poitrine. L'adrénaline commence à affluer dans mes veines. Ce qu'il vient de se passer est incroyable. Je prends le chemin inverse. Je me retourne encore une fois. Il se tient droit face à la carcasse d'un bateau. De là où je suis, je ne distingue que son ombre. Je vais devoir faire preuve d'inventivité et de plus de discrétion. Sur le chemin du retour, je me pose quelques questions. Pourquoi Sullivan tient tant à ce que j'épie chacun de ses mouvements ? Il est possible qu'il me fasse suivre aussi. Sullivan ne fait confiance à personne. Dans la ville on entend pas mal d'histoires entre les deux mais j'évite d'écouter. Je vais devoir trouver par moi-même de quoi il en retourne. Je viens de commettre ma première trahison et sans doute d'autres suivront. C'est comme ça que ce monde fonctionne. Il suffit juste de savoir où l'on met les pieds et avec qui on danse. Sullivan est quelqu'un d'important ici malgré ce que tout le monde pense. Avant que je ne sois chargé de ma mission, j'ai à bord d'une de ses navires annexes. Je ne sais pas comment il a eu vent de moi. Les feux de la plage se dessinent au loin. Je regarde derrière moi pour savoir s'il me suit. Non. Que vais-je dire à Sullivan pour ce soir. Je vais devoir trouver et vite. Je suis devant chez lui. Deux gars montent la garde. Je les connais de vue. Celui de gauche s'appelle Sebastian. Il est massif. Bien plus que le Capitaine. Ses cheveux roux bouclent avec l'humidité et la chaleur. Il se rase tous les jours car on ne distingue aucun poil de barbe sur son visage. Il porte sur sa hanche gauche une arme blanche. Sur torse reposent trois pistolets. Il a une certaine allure. Rolland, son camarade était esclave dans les Antilles avant que son navire ne se fasse aborder. Je ne sais pas s'il est encore esclave mais plus personne ne le considère comme tel. Une hache est posée contre le mur. Il fume un cigare. Il a plusieurs cicatrices sur les bras. Quand il me voit arriver, il me sourit. Ses dents sont éclatantes. Je crois qu'il m'aime bien, ou il est juste poli, je ne sais pas. Sebastian ne m'accorde aucun regard. Il a les yeux fixés sur le bordel. La belle prostituée a disparu. Une brune pulpeuse a pris sa place devant la porte. Elle discute avec un marin. Il est gros, suant. Il doit avoir des pustules partout sur le corps. J'espère qu'elle ne le choisira pas ou qu'elle limitera ses services. Nos regards se croisent un instant. Elle arque un sourcil. Il y longtemps que je ne suis pas allé au bordel. J'entre dans la bâtisse et grimpe les escaliers. J'ai trouvé ce que j'allais dire. Je toque à la porte. Personne ne répond. Je frappe à nouveau. Toujours rien. Je tourne la poigné. Personne n'a le droit d'entrer sans autorisation mais j'ai une autre mission à mener. J'espère qu'il ne s'est pas seulement endormi sinon cela compromettrait mes plans. Je pousse doucement la porte mais elle grince tout de même. La pièce est plongée dans l'obscurité. Il n'y a personne, tant mieux. J'attrape un bougeoir pour m'éclairer une fois à l'intérieur. Le bureau trône devant la haute fenêtre. Elle donne sur la mer et ses bateaux. Tout le mur droit est encombré de bibliothèques. Il a beaucoup de livres et de papiers volants. Sur la gauche il y a une cheminée et face à elle une méridienne. Je m'approche du bureau. Il y a beaucoup de papier. C'est sans doute ma seule chance. Je pose le bougeoir et commence à lire les papiers du dessus. Ce sont des transactions, des listes de marchandises. J'ouvre les tiroirs. Le premier est rempli de fournitures quelconques. Le second attire mon attention. Je prends le premier papier. Le sceau du royaume britannique trône fièrement en haut de la page. Je le parcours attentivement. Je suis loin d'être stupide. Je sais ce que veut dire cette lettre. J'ouvre un registre. Bonne pioche. Il donne des informations à l'empire britannique. Il est dédommagé pour cela. Les plus grands commercent ici. Il doit être mentionné quelque part comme ennemi de la couronne. Bientôt je le serai aussi. J'ai passé bien trop de temps, je vais me faire prendre si je continue à fouiller. Je referme toutes les preuves. J'attrape le bougeoir et sors rapidement de la pièce. Les escaliers grincent. Je panique. Sur le coup, je ne sais pas quoi faire. J'aperçois la tête rousse de Sebastian monter. Je n'ai pas beaucoup de temps pour agir. « Qu'est-ce que tu fais ? » La voix grave du rouquin me fait sursauter. Du moins je simule le sursaut. J'ai les coudes sur le rebord de la table et je joue avec la flamme de la bougie. « J'ai toqué mais il n'y a personne alors j'attends qu'il rentre. » Il plisse les yeux. Je prends l'air le plus d'étendu. J'ai l'impression qu'il sait que je mens. « Il est comment ? –Qui ? -O'Murchadh. –Je ne sais pas trop. –Tu le suis toute la journée. Comment est-il avec ses hommes ? » Je me rappelle la peur que j'ai ressenti quand il se tenait derrière moi avec une lame posée sur ma gorge. « Ils ont peur de lui. -Ça ne m'étonne pas. –Pourquoi ? –Tu n'écoutes pas les histoires, les rumeurs ? –Non, si je dois avoir une opinion autant me le faire par moi-même. –Tu vas te faire bouffer et trahir si tu penses comme ça. Les rumeurs et les histoires existent bien pour quelque chose. » Il s'appuie sur le mur et se laisse glisser. Il doit être debout depuis le début de la journée. Il bascule sa tête sur le mur. Sa pomme d'Adam ressort plus que jamais. Des perles de sueurs dégoulinent sur son front et ses tempes. Cet homme n'est ni beau ni laid. Il replie ses genoux pour étendre à nouveaux ses jambes. Le couloir n'est pas très larges, il lui seulement quelques centimètres pour que ses pieds touchent le mur d'en face. « Toi, qu'est-ce que tu penses de lui ? » Sebastian me regarde, hausse les sourcils puis reprend sa position et ferme les yeux. C'est la première fois que je lui parle. « J'ai l'image qu'on me donne de lui. –C'est-à-dire ? –Tu n'écoutes pas les rumeurs et les histoires alors pourquoi te le dirais-je ? –Tu n'as pas tort. T'es plus intelligent que je ne le pensais. –Tu prends souvent les gens de haut comme ça ? –Rarement, voire jamais. Quelle est la pire histoire que tu es entendue de lui ? –T'es pas croyable... -Quoi ! –Tu te contredis. –Allez, c'est pour faire passer le temps. –On raconte qu'il aurait fracassé le crâne d'un homme. –C'est assez courant. –A mains nues. –C'est bien ce que je dis. » Sebastian se lève. Il s'approche de moi et place ses mains de chaque côté de ma tête. Il commence à serrer. Je vois ses biceps se bander. Il me compresse le crâne. « Lâche-moi abruti ! –C'est comme ça qu'il l'a tué. » Il me lâche enfin. Il a un regard mauvais avant de se retourner et partir. « Tu es libre pour ce soir. Le boss n'est pas là. » Il me lance une pièce. Je l'attrape au vol. Je dois aller rapporter ce que j'ai trouvé, au plus vite. Mais je vois le regard suspect que Sebastian me porte. Je vais devoir être vigilant. Je descends à mon tour. Rolland et son acolyte ont été remplacés. Rolland est à la taverne et Sebastian se dirige d'un pas rapide vers le bordel. Je décide le suivre. Il me verra entrer, prendre une fille et à ce moment-là, je m'éclipserai. Je devrais juste faire vite avant qu'on ne s'aperçoive de quelque chose. Je ne suis pas assez riche pour passer une nuit entière avec l'une d'elle. Je regarde ma pièce. Je ne pourrais même pas avoir Charlotte avec elle. Et elle ne voudrait pas de moi non plus. Elle dirait sans doute oui pour Lui. Le rouquin me voit entrer. On s'adresse un signe de tête et il rejoint des camarades entourés de beautés. Je m'assois au bar. Une petite prostituée aux cheveux bouclés se joint à moi. Elle me fait du charme et je n'y résiste pas. Elle prend ma main et m'entraîne dans sa chambre. Elle est petite et totalement mangée par le lit double qui trône fièrement. Elle me guide jusqu'à lui. Elle déboutonne ma culotte. Je me laisse faire. « Tu veux quoi mon mignon ? » Je lui montre la pièce, elle sait ce qu'elle doit faire avec ce montant. Elle est belle. Ses yeux bleus transparaissent derrière ces franges de cils noirs. Elle me fait assoir sur le matelas. Les draps sont rugueux sous mes fesses nues. Une main fraîche me touche. Je ferme les yeux et bascule vers l'arrière. Je me laisse faire aux mains expertes. C'est si bon. Ma respiration se fait plus forte quand une chaleur agréable m'entoure. Je grogne et me relève. Elle a les joues roses et les lèvres gonflées. Elle me fait un clin d'œil avant d'ouvrir la porte et de sortir. Moi aussi je vais devoir y aller. Je me rhabille et quitte à mon tour la pièce. Du haut de l'escalier, je vois qu'elle est déjà avec un autre homme. Je passe devant une chambre dont la porte est ouverte. La prostituée brune est sur le ventre gémissante tandis que Sebastian l'acène de coups de reins. Très bien. Je dévale les escaliers. Je cours dans la rue. La plage n'est plus loin. Je passe les premières tentes. J'aperçois celle du capitaine O'Murchadh. On m'assomme. Mes jambes lâchent et le noir danse devant mes yeux. J'ai chaud. J'ai mal aux poignets et aux chevilles. J'ai un sac de toiles sur la tête. J'ai l'impression d'étouffer. Je retrouve peu à peu mes esprits. Des voix parlent autour de moi. Elles parlent de découverte, de trahison. J'entends le mot gamin, capitaine et reconnais la voix de Sullivan. Il sait. Ils m'ont attaché avec des chaînes, si je fais le moindre mouvement ils sauront que je suis réveillé. Je ne sais ni où je suis ni qui sont les personnes qui entourent Sullivan. Trop tard. On m'arrache le sac. La lumière est aveuglante. « Il est réveillé. » L'homme qui me regarde à une haline chargée d'alcool. Il porte un cache-œil noir. Le sourcil au-dessus de l'œil valide boucle comme s'il avait été brûlé. Sullivan le pousse et s'accroupit en face de moi. Sullivan est chauve avec une longue barbe noire. Il a un nez pointu et ses yeux noirs ont toujours un air menaçant. Il me fait penser à une fouine. Ils sont trois avec lui. Aucun n'a l'air commode. « Toi. –Oui mon capitaine ? –Pas de ce jeu-là avec moi ! » Il me gifle. Sa frappe est si puissante que je m'écrase au sol. Ma joue chauffe de plus en plus. Je me relève difficilement. « Oui mon capitaine ? » Un second coup suit le premier. Ce n'est pas une gifle mais une droite. « Depuis quand fais-tu parti de l'équipage de O'Murchadh ? –Je n'en fais pas parti. » Le borgne me flanque un coup dans les côtes. J'ai acquis ce poste, je compte bien le garder le plus longtemps possible. Cependant je ne tiens pas à mourir aujourd'hui. J'espère faire encore quelques voyages en mer, participer à des abordages, récolter une part des butins. Vivre encore un peu en somme. « Quelqu'un lui a divulgué des informations de la plus hautes importances. C'est toi n'est-ce pas ? –Je travaille pour vous mon capitaine. » Nouveau coup. Je tousse. « Explique-moi comment se fait-il que mon bureau se soit retrouvé en bordel juste après ton passage ? Comment se fait-il que des papiers aient disparu ? –Je ne suis pas entré. Je vous ai attendu. » Il me frappe encore. Sullivan l'arrête. Il empoigne mes cheveux et me soulève la tête. C'est certain, il n'a pas la même classe mais à ce moment précis il est effrayant. Ce n'est pas moi qui aie foutu le bordel. Alors qui est-ce ? Quelqu'un d'autre qu' O'Murchadh cherche à le faire tomber. Ou bien Il a embauché quelqu'un d'autre. J'ai mal aux côtes et à la lèvre. Je sens le goût métallique du sang dans la bouche. Je commence à mal voir de l'œil droit. Demain mon œil sera noir et gonflé. Sullivan siffle entre ses dents. « Sebastian est monté et on a un peu discuté. » J'ai du mal à parler. Je tousse. Le sursaut provoqué m'arrache un gémissement de douleur. J'ai mal au crâne. Sullivan me relâche violement. Mon front percute le sol. « Et après ? –Je vous emmerde ! » Cette fois c'est lui qui lance son pied dans mon estomac. Ma respiration se coupe pendant quelques secondes. Je gémis de douleur et crache du sang. Une volée de coups s'en suit. Il passe sa rage contre moi. Il se penche à nouveau vers moi. J'ai le visage tuméfié. Je ne peux pas bouger sans avoir extrêmement mal. « Ce connard l'a trouvé ! Ma carte ! Cette putain de carte qui devait nous mener à lui ! » Quelle carte ? Lui ? Il est la recherche d'un trésor. Comme nous tous sur cette île. Comment se fait-il que personne n'ait été au courant ? Lui devait le savoir. Il savait aussi que je travaillais pour Sullivan qui lui détenait la carte. Sullivan est protégé par la couronne mais il en reste un. « Balloc, ta lame. » Le dit Balloc sort un poignard et lui tend. Je la vois briller. Il va me tuer. Je ferme les yeux. Je n'ai pas vraiment le courage de faire face à la mort. Dommage, moi qui espérais connaitre un peu plus la vite en haute mer, la vie d'aventure. La lame ne tranche pas ma gorge. La lame ne s'enfonce pas dans mon ventre ou autre partie molle de mon corps. La lame touche le sol accompagnée de son bruit particulier. Je rouvre les yeux. Sullivan a le visage déformé. Le sang coule de sa gorge. J'en reçois sur le visage. Je ferme la bouche. Il s'effondre à genoux puis son corps sans vie se couche au sol. Un bruit de pistolet retentit dans la pièce. Balloc n'a pas le temps de comprendre ce qu'il se passe qu'une balle lui traverse le crâne. Une épée se dégaine, puis une autre. Un combat se déroule sous mes yeux. Le borgne se bat contre le dernier homme. L'épée lui traverse le corps et ressort rouge. Le borgne me regarde puis s'approche. Il défait les liens qui maintiennent mes mains dans mon dos. Les chaînes tombes. J'ai mal partout. « Gamin, tu peux te lever ? D'autres ne vont pas tarder à arriver. » J'essaie de me lever. Je vomis. C'est un mélange de sang et de bile. L'odeur est atroce. Je tombe une première fois. Mes jambes ont de la peine à soutenir. Le borgne dont j'ignore le nom passe mon bras sur ses épaules et le sien sous mon aisselle. Je peux m'appuyer sur lui. « Il faut qu'on se dépêche. Le capitaine ne va pas tarder à lever l'ancre. » Je marmonne un oui. Il n'y a personne. Je me tais malgré la douleur. Il nous fait entrer dans une pièce quand quatre hommes se font entendre dans les escaliers. Parmi eux, il y a Sebastian et Rolland. Le borgne m'adosse à un mur tandis qu'il ouvre une fenêtre. On va devoir sauter. Il me traîne. Ce n'est pas très haut mais nous risquons de nous briser les membres. Il siffle. Deux hommes sortent de l'ombre. Ils transportent une échelle. Le borgne me fait passer avant. Il loupe plusieurs fois les barreaux mais j'arrive enfin à bon port. Je vomis à nouveau. On abandonne l'échelle. Les deux hommes me soulèvent et me portent. Je suis épuisé. Ma tête rebondie contre mon torse. Mes pieds ne suivent plus rythme. Je crois que j'ai perdu conscience en chemin car on me hisse d'une chaloupe à un navire. Le borgne me porte sur son dos. O'Murchadh se tient contre la rambarde. Il l'aide à monter. « Pourquoi voulais-tu que je le sauve ? –Il me rappelait quelqu'un. –Toi je suppose... -Non un vieil ami. Comment va-t-il ? –Je l'ai passé à tabac alors pas au top. Il n'a rien dit. On peut lui faire confiance. –Amenez-le au médecin. Linus faut qu'on parle. » Il faut que je leur dise. Mon premier essai est un échec. Les mots meurent dans ma gorge. Je tousse pour attirer leur attention. Lui se retourne. Il fronce les sourcils. « C'est un corsaire. –Qui ? –Sullivan. J'ai trouvé un papier signé par le roi. » Il ricane. « Ça ne m'étonne pas de lui. –Il a parlé aussi d'une carte. Quelqu'un d'autre est sur le coup. » Je tousse encore. J'ai trop mal mais je dois terminer de dire ce que j'ai à dire. « Comment ça ? » Linus se tourne vers moi. Il a remarqué que j'avais compris. « Le gamin a raison. Le bureau de Sullivan était en bordel. Ce n'était pas un de nos hommes puisqu'il n'y avait que nous deux sur l'affaire. Désolé gamin. –Le Français ? – Non, il n'en a rien à foutre de ce qu'on cherche. Le gamin doit savoir. –Soignez-le d'abord. –Qu'est-ce qu'on fait ? –Il faut qu'on y arrive avant eux. » Je passe des bras de Linus qui doit être le second du Capitaine à d'autres bras. On descend dans la cale mais on passe l'infirmerie. On entre dans la cabine du Capitaine. Les hommes qui me soutiennent m'allongent sur une couchette. Elle est confortable. Le médecin se penche sur mon corps meurtri. On m'enlève mes vêtements. Je suis nu comme un ver. On m'applique une compresse fraîche sur le crâne et un onguent parfumé sur mes hématomes. On recoud mon arcade sourcilière. Je geins de douleur. On me nettoie et on me réapplique de l'onguent. Je suis fatigué. Je ferme les yeux. Quelqu'un entre. C'est Lui. Il discute avec le médecin. Je suis trop inconscient pour comprendre de quoi il parle. « Demain, il faudra que tu me dises tout ce que tu savais sur Sullivan. On doit mettre la main sur cette carte. Pour le moment, repose-toi. » Je m'endors. Je passe un jour dans la cabine du capitaine. Je ne peux manger que de la soupe. J'ai encore trop mal pour mâcher quoi que ce soit. Ce soir je prendrai mes quartiers avec les autres membres de l'équipage. Ce traitement de faveur a assez duré. O'Murchadh ne m'a pas encore questionné. Je n'aurais pas su quoi lui dire de toute façon, j'ai le cerveau en compote depuis que je me suis réveillé. J'ai fait quelques pas ce matin. Sa cabine est spacieuse. Il a un grand bureau encombré de cartes et d'outils de navigation. Il y a aussi une bibliothèque avec des ouvrages anglais, espagnols, français, latins. En plus des cartes de navigation, il y a un encrier et des plumes d'oie. Je suppose que ce sont des plumes d'oie. On toque à la porte. C'est le cuistot. Il m'apporte encore de la soupe. Elle est infecte mais je n'ai pas trop le choix si je ne veux pas mourir de faim. Il me la donne puis s'en va avant que je n'ai pu le remercier. Elle est beaucoup trop salée et manque de goût. Je pose le bol vide sur l'autre bol vide. Le médecin est passé matin. Il a nettoyé mes plaies et passé de l'onguent sur mes hématomes. Linus s'est présenté convenablement peu de temps après. Il est réellement le second du capitaine. Ça faisait un moment qu'il jouait l'espion au sein de l'entreprise de Sullivan. Sans lui, O'Murchadh n'aurait jamais su qu'il était suivit. J'en ai conclu que j'avais bien réalisé mon travail. C'est aussi Linus qui a suggéré de m'embaucher. Je crois qu'il m'apprécie. Il s'est encore excusé de m'avoir frappé. Je n'ai rien répliqué parce que je savais qu'il faisait son travail. Je me regarde dans le miroir accroché au mur. J'ai l'œil droit complètement noir et gonflé. Ma lèvre est fendue mais ne saigne plus. J'ai perdu une dent mais le trou n'est pas visible quand je souris, tant mieux. Je n'ai plus le visage bronzé mais violet, jaune et bleu. Mon torse se compose des mêmes couleurs. J'ai les cheveux poisseux et bien trop longs. Par chance, le médecin a oublié ses ciseaux. Je prends une chaise et me place devant le miroir. Je coupe les mèches du devant. J'ai une frange maintenant. C'est encore plus laid. Je coupe encore. Les mèches tombes une à une sur le sol. J'ai les cheveux courts, très courts. Si les poux m'attaquent, je pourrais m'en débarrasser plus facilement en évitant les coups de soleil sur un crâne chauve. Difficilement, je rassemble et ramasse les cheveux et les jette par-dessus bord. Nous sommes loin, en haute mer. Je ne sais pas où nous allons.

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