IV.

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Lorsque le Sans-Nom se réveille de nouveau, il se sent mieux. Tous ses muscles sont en état de marche, et, excepté sa faim lancinante auquel il s'est habitué et ses nombreuses contusions ; il va bien. Toutefois, un soupçon de peur lui tapisse le fond de ses pensées.

L'Aventure !
Ses doutes et ses questions lui reviennent doucement, vite chassés par son désir de se lever et de rejoindre l'Aventure. Il a tant espéré, il ne doit pas abandonner maintenant.

Dans sa précipitation à se lever, il voit les événements de la veille défiler devant ses yeux, des yeux soudainement éclaircis par l'espoir.

Puis subitement, ses yeux s'assombrissent de nouveau. Un flash. La créature rousse, il la reconnaît, est enfermée dans une cage d'argent qui paraît inusable. Elle se débat, se jette contre les barreaux. Puis, comme un des nombreux spectateurs venus se repaître de la souffrance de ce pauvre hère, il se revoit, lui, jeune esclave, en train de lui jeter un quartier de viande en cachette. Il n'est pas aussi maigre qu'aujourd'hui, mais il fait quand même peur à voir.
Le Sans-Nom qui se souvient observe le Sans-Nom qui se révolte. Pour la première fois de l'Après, et peut-être de l'Avant, il peut enfin s'observer. Et soudain, toutes les moqueries, tous les regards dégoûtés prennent leur sens.
La seule chose qu'il se rappelle précisément de l'Avant, c'est une main abimée par le temps dans ses beaux cheveux noirs. Ses beaux cheveux noirs, qui dans ce flash sont devenus flasques et ternes.
Il ne veut plus voir, ne veut plus se souvenir. Il doit se concentrer sur sa tâche, sur l'Aventure qui l'attend...

Alors il se réveille.

Se secouant autant pour chasser les brins de paille qu'il sent infiltrés dans sa si triste chevelure, et autant pour cacher les débris de souvenirs, il se lève.
Il n'a pas perdu son but de vue.
D'un bond, il est auprès de la créature, cet homme dont il a peut-être entendu le cri inhumain la veille, et qui à présent ronfle paisiblement.

Il doit le sortir de son lourd sommeil, c'est pour lui l'unique moyen d'atteindre l'Extérieur, dont il a tant entendu parler et dont il se souvient si peu, et donc l'Aventure.

« Tu dois m'aider ! Je dois aller Dehors ! Amène-moi là-bas... le supplie le Sans-Nom. »

Le colosse, peu enclin à se laisser perturber dans son sommeil, se retourne sur sa couchette dans un grognement. S'il a entendu, il ne tient pas à le faire savoir.

Le Sans-Nom, poussant un soupir, réfléchit. Il ne veut pas blesser une créature qui lui a sauvé la vie, mais il n'a plus le choix. Surprenant la forme assoupie à côté de lui, il plonge sa main dans les tréfonds de sa fourrure, et lui tord une partie qu'il suppose très sensible, et qui fait en effet se cabrer et hurler le pauvre agressé. Fou de douleur et de rage, il empoigne son agresseur sous le bras, et se met à courir.

Il emprunte des chemins perdus, des raccourcis étroits, des conduits désaffectés. La créature le conduira où il le souhaite, il le sait. Dans ses bras, le Sans-Nom n'a pas peur. Enfin. Il a oublié le Maître et sa fureur, sa souffrance et ses souvenirs. Il va retrouver l'Aventure. À moins que... Une idée saugrenue, différente, insensée fait son appartition dans ses pensées. Et si.

Tout à coup, le colosse roux prend un couloir, un chemin à part, interrompant ses divagations. Et la lumière du jour, cette lumière qu'il n'a pas vue depuis si longtemps, trop longtemps, cette lumière resplendit et emplit ces yeux qui croyaient avoir perdu tout espoir. Ses questions reléguées au second plan, il sent tout à coup le parfum de l'Aventure.

Et, pour la troisième fois, il s'évanouit.

Un Sans-NomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant