Partie 1 - Bleu

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Dans toutes les directions, le ciel azur me rappelle que je suis haut... très haut.

Je viens me placer en limite de poutrelle, accrochant mes pieds nus sur les rebords d'aciers.

Lentement, je me penche en prenant soin de ne pas me laisser emporter par la charge que je porte sur mes épaules.

Partout s'étend la forêt vierge.

Elle est superbe, mais je les aperçois, au loin, à l'est, les trous béants dans la toison verte. Là-bas aussi, l'Homme s'est imposé à la Terre comme un eczéma. C'est triste. Je baisse les yeux.

Autour de moi, la structure en construction est titanesque.

De tous côtés, des barreaux aciérés sont harnachés les uns aux autres par d'énormes boulons, donnant déjà, à l'enchevêtrement métallique, cet aspect carcéral.

La Prison.

Déjà, partout dans le pays, les journaux l'appellent ainsi.

Un seul bâtiment, immense et isolé, pour accueillir la totalité des condamnés du Brésil.

« Un modèle unique et novateur dans l'histoire pénitentiaire de notre monde ! » d'après le ministre de la Justice.

Je me remémore cette courte interview de la veille, accordée avec condescendance aux journalistes qui l'attendaient en bas de son hôtel. L'homme en costard faisait le malin en clignant des yeux face aux crépitements stroboscopiques des flashs :

« Fondé sur des peines compressibles par l'obtention d'examens sociaux ou universitaires, ce nouveau système judiciaire et de réinsertion est un accomplissement pour notre gouvernement », avait-il déclaré avant de renvoyer d'un geste la gent journalistique et de s'engouffrer dans sa limousine.

Je regarde autour de moi, je suis placé à quelques étages de la pointe de l'immense pyramide.

D'ici, je repère facilement les écoles primaires et secondaires qui en occupent la base. Plus haut des gymnases, un centre de psychologie, une bibliothèque et l'université. Les cellules sont quant à elles réparties par paliers d'étude et d'éducation ; plus tu travailles et tu t'investis, plus tu montes. La liberté se trouve toute en haut. Un funiculaire te redescend par le nord, face à la jungle.

Je lève les yeux sur le paysage incroyable que le détenu libéré contemplera alors. Superbe !

La métaphore de la forêt vierge. La page blanche. Le nouveau départ.

Ils ont pensé à tout, ces cons !

Partout, des hommes aux casques jaunes transpercent, vissent, soudent et confectionnent. Des jets de métal en fusion jaillissent, des martèlements sourds résonnent et des grues tournoient à leurs guises, jouant les girouettes réfractaires. Une sempiternelle musique de samba sort de petits haut-parleurs fixés aux pylônes d'acier. Ça sent la sciure, l'huile et l'odeur particulière des soudures ; bien sûr aussi, le grand air de la jungle, ces effluves humides, remontants de la canopée et du monde mystérieux qui dort dessous.

Je contemple l'ensemble.

La Prison est comme vivante, se développant chaque jour un peu plus, comme une grosse termitière. Paradoxalement, le vide immense qui l'entoure donne à ce tableau une agréable touche de liberté.

J'inspire profondément. L'air frais envahit mes poumons.

Le rêve me revient en mémoire.

D'aussi loin que je me souvienne, il a fait partie de mes nuits ; depuis toujours peut-être.

Les arcanes de la gravitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant