[Partie 1] Chapitre 2 : la vieille femme

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C'était un jour comme les autres, ni pire, ni meilleur que les précédents. La seule différence était que, ce soir-là, Red rentrait légèrement plus tard qu'à son habitude dans son logis. Elle marchait lentement en direction de la bicoque, serrant dans ses bras maigres le résultat de ses vols du jour. Elle traversa les rues désertes du village jusqu'à atteindre son lieu de vie. Red aurait pu rentrer directement et se précipiter dans son placard, comme à son habitude mais, ce soir-là, quelque chose la stoppa. Devant la maison, était garée une voiture à laquelle était attelée deux grands chevaux au pelage sombre. Le moyen de transport était quant à lui, sobre. Aucune dorure n'ornait les portes, aucune décoration. Red se rapprocha afin de voir l'intérieur mais sa petite taille l'en empêcha. Elle se tourna alors vers son domicile : les lumières étaient allumées et derrière le verre des vitres, trois silhouettes se distinguaient, de sa position, Red pouvait également entendre plusieurs voix sans toutefois réussir à comprendre ce qui se disait derrière la porte. Intriguée, elle s'empressa d'entrer dans la demeure. Ses parents étaient là, attablés dans la pièce principale de l'habitation et semblaient en grande conversation avec une vieille femme. Cette dernière se tenait droite comme un piquet sur sa chaise, un air sévère dessiné sur son visage ridé. Elle était vêtue d'un long manteau de fourrure sombre et on pouvait deviner, sous ce dernier, une longue robe vert foncé dont le col remontait jusqu'en haut de son cou, ses cheveux étaient relevés en un chignon serré et un monocle ornait son œil droit. Par ailleurs, la vielle femme tenait dans ses mains, ce qui ressemblait à une canne dont le pommeau à tête de canard était en or massif. Red devinait donc aisément qu'il s'agissait de quelqu'un de riche, voire de très riche. L'inconnue se sentit observée et se décida à tourner la tête, son regard se posa donc sur la petite fille, restée immobile près de la porte. Elle s'attarda quelques instants sur l'enfant puisqu'elle entreprit de la détailler, dressant mentalement, la liste des défauts de cette dernière. Lorsque cette liste fut terminée, la vieille femme détacha son regard de Red pour se tourner vers les deux autres adultes dans la pièce : « Cette enfant est négligée, elle n'a que la peau sur les os, il lui faut de la nourriture et un encadrement digne de ce nom. Je pensais pouvoir attendre plus longtemps mais je n'ai aucun doute quant au fait que, si je reviens dans quelques mois ou quelques années, elle sera morte. C'est pourquoi, il est temps. Elle viendra vivre avec moi dès aujourd'hui »

Les deux adultes se regardèrent ne sachant quoi répondre. Un silence pensant s'installa alors dans la pièce, tout semblait figé : personne ne bougeait ou n'osait bouger. Ce ne fut que lorsqu'un courant d'air venu de nulle part s'engouffra dans la pièce que la vie reprit dans le petit groupe d'adulte. Ce fut finalement la mère de Red qui se décida à prendre la parole "Mais... mère, si elle part avec vous, qui s'occupera de la maison ? cette baraque tombera en ruine ! Fit-elle d'un ton peu assuré, comme pour cacher un mensonge. Son regard rencontra celui de son mari avec un air interrogatif et celui-ci décida de renchérir :

- Oui, elle est utile la gamine. Qui d'autre peut s'occuper de ça si elle part,  on passe notre temps à se tuer le dos à la ville"

Red avait envie d'hurler. Elle voulait rétablir la vérité : personne ne s'occupait de la maison puisque de la poussière trainait partout et que les coins du plafond étaient ornés d'immenses toiles d'araignées qui l'effrayaient au plus haut point. Le seul endroit à peu près propre de l'habitation n'était autre que le placard dans lequel la petite fille avait élu domicile. Cependant, alors qu'elle ouvrait la bouche pour répondre à ses parents... aucun son ne sortit, les mots restèrent bloqués au fond de sa gorge, incapable de sortir. Des larmes perlèrent alors aux coins de ses yeux et couru se réfugier dans son placard, situé à quelques mètres à peines de la table où étaient attablés ses parents et l'inconnue qu'elle devinait être sa grand-mère maternelle. Cette dernière lâcha un soupir exaspéré, fouilla dans les poches de son manteau de fourrure et en sortit une bourse qu'elle jeta sur la table, face aux parents de Red. Lorsque le sachet toucha la table, un bruit métallique s'en échappa et les deux adultes devinèrent alors son contenu : la bourse était remplie d'argent. Mais avant qu'ils n'aient pu se précipiter sur ces dernières, la voix de la vieille femme retentit dans la pièce :

« Voici de quoi engager quelqu'un, mais la petite au chaperon, reste avec moi. De plus, j'en ferai mon héritière. L'argent est à vous »

Aussitôt dit, aussitôt fait : l'homme et la femme se ruèrent sur la bourse afin d'en découvrir le contenu avec un sourire de contentement. C'est également à cet instant que Red se décida à sortir de son placard et découvrit le spectacle qui s'offrait à elle. Cette fois, elle demeura impassible et se contenta uniquement de fixer sa grand-mère. Celle-ci, se rendant compte qu'on l'observait, tourna la tête vers l'enfant avant de se lever de sa chaise, de réajuster son manteau et de s'approcher de la petite fille, l'air parfaitement neutre. Une fois arrivée à son niveau, elle frappa le sol avec le bout de sa canne, la faisant sursauter. Puis, elle commença à s'éloigner, faisant signe à Red de la suivre. Cette dernière se précipita à sa suite, non sans tourner la tête vers ses parents comme pour espérer un signe d'affection quelconque de leur part. Cependant, ils étaient trop occupés à compter une à une les pièces de monnaies présentes dans la bourse et aucun d'eux ne daigna tourner la tête vers Red. C'est donc avec une pointe de tristesse dans le cœur que cette dernière quitta la maison dans laquelle elle avait vécu huit années de sa vie.

La voiture était toujours là, elle n'avait pas bougé de sa place. Les chevaux étaient toujours attelés, prêts à partir et la seule différence que remarqua Red fut la présence d'un vieil homme, assis sur le siège avant. Il n'avait pas un visage très expressif et semblait concentré sur les chevaux. Cependant, lorsque les talons de la vieille femme raisonnèrent sur le sol pavé du village, l'homme leva les yeux et s'empressa de descendre de son siège. Il se dirigea vers la porte du véhicule, l'ouvrit et déplia un marchepied afin de faciliter la montée. Puis, il se plaça à côté de la porte, attendant la montée de sa maitresse. Cette dernière s'exécuta sans lui accorder un regard et alla s'installer sur la banquette avant de faire signe à Red. Cette dernière hésita un instant puis se décida et s'installa à son tour dans le véhicule. Le vieil homme replia le marchepied referma la portière avant de retourner s'installer sur le siège conducteur. Il y eut un claquement... et quelques secondes plus tard, la voiture s'ébranla, laissant Red n'en croyait pas ses yeux, c'était un miracle. Elle quittait ce village, ses parents, la vie de voleuse et de misérable pour quelque chose qui ne pourrait être que mieux. Du moins, c'est ce que la petite espérait au plus profond d'elle-même.

Le doute était malgré tout présent dans l'esprit de la petite fille : que se passerait-il si la vie était bien plus dure qu'au village ? Y aurait-il un moyen de s'échapper si cette vie était trop atroce ? Ces doutes furent chassés bien rapidement de son esprit car la voiture s'engouffrait par un chemin sinueux dans la forêt.

RedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant