J'ai 45 ans, consultante indépendante. J'ai grandi dans une famille où l 'on ne dit pas les choses, on ne les nomme pas...Il faut deviner, comprendre .... Je vis dans une tribu, nombreuse, joyeuse, mixte ... 4 garçons, 4 filles. Papa s'attache à nous éduquer de manière identique garçons et filles. Ma mère n'a qu'une obsession, rester fidèle aux valeurs du pays et faire de ses filles de futures épouses conciliantes, dociles et bonnes ménagères...
Je vais grandir tiraillée entre ses 2 injonctions ...Je vais grandir dans un monde dénué de féminité au milieu de mes frères et mes parents, mes sœurs se sont mariées alors que je suis encore une enfant...Absence de féminité car pas un mot ne sera dit sur ce corps qui change et ses métamorphoses.
Je vois mon corps saigner aux toilettes, je ne comprends pas ce qui m'arrive, je suis intelligente je m'en débrouille, je vais à la bibliothèque pour comprendre ...J 'ai 13 ans je ne sais pas ce que sont les règles et personne pour aborder le sujet avec moi...Ce soir-là, couchée dans mon lit, je suis le parcours sinueux de mes pensées qui me ramène à ce qui m'arrive...Mon esprit vagabonde. Comme souvent dans ce cas-là, je ne cherche pas à contrôler. Mon esprit fonctionne comme une randonnée dans un parcours tortueux mais connu. Parfois de manière soudaine et brusque surgit sur le côté une image, une sensation, une émotion. Alors mon esprit ralenti et tente de saisir cet instant, de l'apprivoiser, d'y donner forme. Je me souviens.
C'est l'été, nous revenons de vacances en Algérie. Ma sœur va se marier l'été prochain, c'est la troisième qui se marie. Je suis dans la chambre de mes parents, j'ai 10 ans ... ma mère me fait m'assoir en face d'elle, elle écarte mes jambes sans ménagement. Elle tient un cadenas à la main qu'elle ferme devant mon sexe.
J'ai 10 ans, je ne comprends pas. Elle me dit que "c'est pour éviter que les hommes me suivent comme les chiens suivent les chiennes". J'ai 10 ans je découvre le désir des hommes de la manière la plus violente qui soit. Il y a des violences qui ne marquent pas physiquement.
Cet été-là, ma vie d'enfant s'arrête, je suis la fille à marier puisque les 3 autres sont parties. Je n'ai plus le droit de m'amuser, de rire, de mettre le nez en dehors de la maison. Nous avons une grande maison en Algérie, un très grand jardin chargé d'arbres fruitiers et de vignes, des terrains d'oliviers. J'aimerai pouvoir dire que ces vacances en Algérie sont une récréation, une bouffée d'oxygène. Il n'en est rien. Je n'ai même pas le droit d'aller dans le jardin en journée. "Il ne faut pas qu'on me voit" Les choses ne me sont pas interdites de manière tacite ! Non, c'est beaucoup plus pernicieux que ça. C'est une sorte de dressage. Dès que mes pas m'amènent en dehors de la zone autorisée, un "Soraya !" tonitruant accompagné d'un regard chargé de mépris me fait renoncer à mon escapade et ancre chaque jour un peu plus en moi la culpabilité, celle d'être un objet de désir.
Pendant l'été, pendant ces 2 longs mois, je marque et barre les jours sur le mur. Comme dans une prison. Mes sœurs et ma mère déploient leur énergie à faire de moi une bonne cuisinière et une fille d'intérieur. En fait je passe mon temps à faire la cuisine pour ces dames ainsi que leurs progénitures. Je dois aussi faire la vaisselle de ma nombreuse famille dans un village où l'eau courante n'est pas encore installée. Je vais chercher de l'eau au puit dans le jardin le matin à la fraiche ou à 14h quand le soleil de plomb maintient chacun terrait chez lui au frais. On ne risque pas de me voir ainsi. Moi je sais que ce n'est pas vrai. Je perçois d'autres "enfermées" derrière les arabesques des balcons. Elles me guettent, enviant intérieurement mon sort car je viens de France, si elles savaient....
Nous sommes légion les filles du premier rang, celles à mariées qu'on doit cacher. Quand viendra l'heure, on nous exposera le temps d'une sortie à la boutique du village ou d'une visite chez une cousine.
VOUS LISEZ
Je suis née à 40 ans
ActionUn samedi à la bibliothèque je découvre un roman, LA MARIÉE ROUGE. Je le dévore en une après-midi. De la violence, du sexe, du sang. Je sens monter en moi un feu qui brûle mon bas ventre, je ne sais que faire de ça. Mécaniquement alors je croise et...